Analyses Russie

Gorlovka : Tatiana la vie d’une veuve sur le front avec 6 enfants

Gorlovka : Tatiana la vie d’une veuve sur le front avec 6 enfants

Tatiana c’est une jeune femme, veuve, vivant avec ses 6 enfants âgés de 18 à 3 ans. Je me suis rendu à sa rencontre pour donner la parole à des gens qui sont très peu entendus. Tatiana est en effet représentative du petit peuple du Donbass, celui qui a supporté la guerre, celui qui quelque part s’est insurgé en 2014, celui qui a refusé la Révolution du Maïdan, la mondialisation, les manipulations. C’est ce petit peuple qui a également fermé les écoutilles pour ne plus entendre les sirènes enjôleuses de l’Union européenne, et qui avec son bon sens, n’a pas cru une minute que l’UE ou l’OTAN apporteraient le bien être, l’argent et la paix. Tatiana vit dans un quartier proche du front, la ville de Gorlovka, une ville qui est en première ligne depuis l’été 2014, et que les Ukrainiens n’ont jamais cessé de bombarder. Voici l’histoire d’une mère courage.

Une témoin de deux Maïdan… en Ukraine et en Biélorussie. Née dans la ville de Gorlovka, une ville de plus de 200 000 habitants dans l’actuelle République Populaire de Donetsk, Tatiana est issue d’un milieu modeste. Ses parents naquirent avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale, et arrivèrent eux-mêmes dans la région pour le travail (notamment d’Orel en Russie). Son père né en 1934 était un simple technicien et employé des chemins de fer soviétiques. Sa mère, née en 1941, avait une formation professionnelle et travailla comme simple employée et ouvrière. Ils eurent 4 enfants et vécurent une vie de travail et de labeurs, une vie paisible de gens anonymes. Tatiana a suivi leur exemple, mais vînt pour le travail durant 6 mois à Kiev, la capitale de l’Ukraine. Elle assista malgré elle au premier Maïdan (hiver 2004-2005). Avec ses mots, elle explique qu’elle découvrit une ville russe, parlant russe, vivant à la russe, mais où quelque chose déjà ne tournait pas rond. Questionnée sur le fait qu’elle n’était restée que 6 mois, elle répondit qu’elle avait compris que rien ne l’attendait dans la capitale, et que sa vie était une évidence dans sa terre natale, dans le Donbass. Elle avait pourtant tenté sa chance également en Biélorussie, à Minsk, ou par hasard, elle assista aussi à une première tentative manquée de Maïdan, tentative organisée par la CIA et qui échoua (2005). Ayant compris qu’elle faisait fausse route, elle retourna dans le Donbass. Comme elle le dit elle-même, sa compréhension de ces deux révolutions était que quelque chose de dramatique pourrait bientôt se présenter à leurs portes. Ayant rencontré son mari et père de ses 6 enfants, ils décidèrent de construire une maison où il pouvait vivre dans la plus grande autonomie possible. Car déjà l’idée était de se préparer à la guerre.

Construire une maison, revenir à sa terre natale et se préparer… à la guerre. C’est ce que me déclara vite Tatiana : la compréhension rapide de son couple que la guerre était en approche et menacerait le Donbass. Je ne fus pas surpris par cette déclaration. En 2016, dans la même région, j’avais en effet fait l’interview d’un habitant de Enakievo, qui me déclara lui aussi avoir compris qu’une guerre s’inviterait bientôt en Ukraine, après qu’il avait assisté au premier Maïdan, à Kiev (hiver 2014-2015, l’homme du nom d’Evguéni était entrepreneur dans le bâtiment). La famille s’installa donc dans une petite maison sans étage, dans l’un des quartiers de Gorlovka. Pourvu d’un terrain, le couple y construisit un poulailler, y creusa un puits, un four, et y installa bientôt l’activité de Tatiana : un élevage de chiens. Elle se lança dans cette activité avec passion, non seulement de l’élevage mais aussi du dressage. Rapidement elle se fit connaître localement, participant à des concours dans sa ville, sa région, puis dans d’autres villes et régions d’Ukraine, à Kiev, Kharkov ou encore Dniepropetrovsk (ou partout elle affirma n’avoir rencontré que « le monde russe », comprendre que la propagande nationaliste et raciste n’avait pas encore fait son office). Elle accumula des dizaines de médailles et de prix, se taillant une bonne réputation. Cette vie fut ponctuée par les premières naissances, 3 filles étant nées avant la guerre, et 1 fille et deux garçons après son commencement. Cette prospérité, nous le savons ne devait pas durer, avec l’arrivée des événements du Maïdan, puis de la guerre dans le Donbass. Sa vie et celle de sa famille en fut chamboulée.

Tatiana et ses voisins témoignent de ce qu’ils ont vu et soufferts. Nous sommes en effet rejoints par un couple de retraités, vivants à côté de Tatiana. Tous les trois racontent la même chose, l’inquiétude lorsque le second Maïdan commença, l’assurance que la guerre était déjà à leur porte. Ils étaient d’ailleurs concentrés sur l’essentiel : le travail et leurs enfants. Lorsque les événements qui ramenèrent la Crimée au giron de la Russie commencèrent, ils espérèrent que la même chose serait possible pour le Donbass. Comme l’immense majorité des habitants de Gorlovka, ils participèrent au référendum d’autodétermination de mai 2014 et votèrent pour l’autonomie vis-à-vis de l’Ukraine (ils ne voulaient pas de cette Ukraine hideuse de Bandera et Porochenko). Ils assistèrent vite aux premiers combats, et furent tout de même surpris par les attaques menées par l’aviation ukrainienne sur les populations civiles (été 2014). Ce premier choc devait être suivi de nombreux autres. Tatiana raconte en effet les violents combats de chars qui se déroulèrent durant la bataille de Debaltsevo dans l’hiver 2014-2015. Selon elle, le bruit de ces combats, qui s’approchèrent très près de sa maison, fut ce qu’elle vécut de pire dans sa vie avec ses enfants (quelques centaines de mètres). La suite, ce fut les bombardements incessants de la ville et de son quartier. Elle tiendra ensuite à m’emmener voir ce que j’ai déjà vu mille fois : des maisons abandonnées et bombardées, des ruines, des impacts d’obus. Tout autour de sa maison, elle me montre tout cela, explique les drames, les gens qui ont été tués ou blessés. L’ange-gardien de la famille a été puissant, car aucun obus ne sera tombé sur sa maison, qui pourtant est entourée d’impacts de différentes armes. Elle raconte aussi l’autre conséquence, celle de la perte de son activité professionnelle. Fini les élevages et dressages de chiens dans le monde encerclé et ignoré, voire méprisé du Donbass. Alors, pour survivre, des poules ont rejoint des oies, des canards et des lapins, puis bientôt des chèvres. C’est dans une véritable petite ferme que ses enfants vivent et s’épanouissent, car malgré la disparition du père, tout ce petit monde paraît extrêmement heureux. Pudiquement, à la question de ses moyens de vie, ou plutôt de survie, elle ajoute : « c’est dur, mais ça va, cependant je ne peux subvenir à leurs besoins que grâce à beaucoup de gens qui m’aident ».

En arrière plan de notre discussion, l’aînée des enfants, Nadia, 18 ans, hoche de la tête. C’est une jeune fille discrète, bien élevée, suivant assidûment ses études et chantant dans une chorale du quartier. Elle n’avait pas encore l’âge de voter aux dernières élections présidentielles de mars 2024. Sa maman, sans secret ni manière affirme qu’elle avait voté dans le temps pour Ianoukovitch, l’homme du pays (2010). Elle avait eu l’espoir à l’époque qu’il ferait le ménage dans le pays « des bandits ». En mars dernier c’est Vladimir Poutine qu’elle a choisi et elle affirme « que je veux voir la suite, la réalisation de ses projets pour le pays ». Questionnée sur l’avenir de ce dernier, avec son aînée, elle répond qu’elle restera dans le Donbass, chez elle, et ne reprendra pas forcément l’élevage et le dressage des chiens, sans toutefois l’écarter. Nadia quant à elle, espère étudier dans une grande ville du Sud de la Russie. Elle indique aussi qu’elle est très attachée à sa famille et au Donbass, et que malgré qu’elle ait vu Moscou, ses infrastructures, elle ne rêve que de paix et de vie paisible. Le Président Macron, l’OTAN, eux, ne l’entendent pas de cette oreille. Pour Macron en personne, elle n’est qu’une « séparatiste », sa jeune vie de 18 années, pour lui, c’est au mieux le mépris et le silence, au pire le désir de les voir ensevelis dans des fosses communes. La fosse commune géante de l’Ukraine… et de la France.

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