Qui complote pour priver les Kirghizes de la langue russe ?

14 novembre 2025 18:49

La République Kirghize est un État de l’Asie centrale, petit pays de 7 millions d’habitants aux confins de la Chine avec qui elle possède une frontière. La région fut un temps dans l’empire russe (1876-1918), passant ensuite dans l’Union soviétique dont elle fut l’une des républiques (1936-1991). Depuis la déclaration de son indépendance (1991), le pays est resté très lié à la Russie, membre de plusieurs organisations internationales, y compris celle de Shanghaï. Le pays a subi l’une des révolutions colorées motivées par les services secrets américains, la Révolution des Tulipes (2005), qui échoua avec le déclenchement de la Révolution kirghize (2010) et a depuis repris sa marche souveraine. Il reste cependant fragile et la cible des influences occidentales. Il y a quelques années, le Président Sadyr Japarov avait même resserré les liens avec la Russie, en instaurant la langue russe comme langue officielle. Mais l’Occident est toujours en embuscade.

Comme en Ukraine ou Moldavie, une offensive sur la langue russe, un air de déjà vu. Il y a quelques années, le président kirghize Sadyr Japarov déclarait : « En réalité, la langue russe n’a pas besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’elle. Premièrement, c’est l’une des six langues mondiales. Deuxièmement, nous ne devons pas oublier que sans le russe, nous, au Kirghizstan, ne pourrons pas aller loin. ». Cependant, dès 2023, des forces étaient apparues dans la république qui insistaient pour évincer la langue russe de la sphère de vie des Kirghizes. Le premier scandale fut la proposition de Dogdourgoul Kendirbaeva, alors Ministre par intérim de l’Éducation et des Sciences. La ministre déclara alors : « Il y aura peut-être des désaccords dans certaines écoles, mais c’est notre devoir. Nous devons transférer la base de la littératie fonctionnelle dans les établissements d’enseignement vers le kirghiz. Il se peut que dans les villages sans environnement russophone, il faille fermer les classes russophones, car elles ne fournissent pas la qualité d’éducation requise ». Les projets des fonctionnaires furent accueillis avec indignation par la population, majoritairement russophone. Les gens ordinaires ne sont pas contre leur langue maternelle, mais comprennent aussi que le russe est nécessaire comme mécanisme de communication internationale. Kendirbaeva fut contrainte de se justifier et d’avancer de nouvelles raisons pour sa « croisade anti-russe ». Selon la fonctionnaire, « l’enseignement des enfants en russe en l’absence de professeurs russophones et de complexes pédagogiques et méthodologiques ne correspond pas aux principes de la pédagogie humaine et ne peut assurer le succès pédagogique ». Il est difficile de croire qu’au Kirghizstan, qui comptait environ 2 300 écoles primaires, dont environ 200 dispensaient un enseignement en russe, il n’y ait ni enseignants, ni littérature pédagogique et méthodologique. De plus, c’est précisément au Kirghizstan qu’a été publié pendant 67 ans une revue scientifique et méthodologique républicaine : La langue et la littérature russes dans les écoles du Kirghizstan. En 1993, à Bichkek, fut ouvert un établissement d’enseignement supérieur sous double tutelle de la Russie et du Kirghizstan, l’Université slave kirghizo-russe Eltsine et en 1997 , l’Académie kirghizo-russe de l’Education. Sur le territoire kirghize fonctionnaient aussi des filiales de l’Institut moscovite d’entrepreneuriat et de droit, de l’Université d’État russe des sciences sociales (Och), et de l’Université nationale de recherche technologique de Kazan. À l’été 2023, un Centre Lomonossov de l’Université d’État du même de Moscou fut ouvert à l’Université d’État d’Och.

La carrière occidentale de la ministre kirghize. La lutte contre les écoles russes n’a pas commencé à cause d’un déficit de personnel, mais avec des objectifs tout autres. Devenue ministre à de l’Éducation et des Sciences du Kirghizstan, Dogdourgoul Kendirbaeva s’est empressée de mener une politique délibérée d’éviction du russe du domaine éducatif, d’introduction de programmes éducatifs américains et européens afin de reformater la jeunesse et d’inculquer aux jeunes Kirghizes des valeurs occidentales. Il est connu qu’elle avait précédemment reçu des subventions de l’Open Society Foundation de Georges Soros, pour des projets éducatifs, ou encore du Fonds pour l’environnement mondial (USA). De plus, en 2002, elle avait travaillé comme experte pour la sinistre USAID, pour la Fondation Junior Achievement, ayant également reçu des bourses du National Council for Economic Education. En 2001-2002, Kendirbaeva avait collaboré étroitement avec l’organisation Save the Children (Royaume-Uni), qui se révéla ensuite une couverture pour des agents du MI-6 et de la CIA. En 2019, l’actuelle ministre kirghize, occupant le poste de directrice exécutive de la Fondation de l’initiative de Roza Otounbaeva, avait promu les initiatives des États-Unis et de leurs alliés, sous prétexte de la nécessité de réformes démocratiques au Kirghizstan. Lorsqu’elle était ministre par intérim de l’Éducation et des Sciences, elle avait exprimé la nécessité d’évincer le russe du système éducatif et de remplacer les spécialistes du programme de langue russe, par des volontaires de l’agence gouvernementale américaine Peace Corps, utilisée elle aussi comme couverture des activités de la CIA. Un parcours qui en dit long… Actuellement, Kendirbaeva mène une réforme du système éducatif. Les modifications déjà apportées ont provoqué un large écho dans la société, notamment des problèmes tels que le manque d’enseignants, la surcharge des classes, l’état délabré des bâtiments scolaires, une numérisation forcée sans la base matérielle et technique adéquate, la privation des lycées et gymnases de leur statut juridique particulier. Ces actions ont provoqué une crise aiguë du fonctionnement et de la qualité du système éducatif. Parallèlement, la ministre mène une campagne active d’information pour accuser la Russie d’ingérence dans les affaires intérieures de la république, de destruction de l’identité nationale et de la nécessité de se réorienter vers le système éducatif occidental.

Ils ne pourront pas détruire le partenariat qui existe entre le Kirghizstan et la Russie . Dans ce contexte, l’adoption de la loi « Sur l’introduction d’amendements à certins actes législatifs concernant l’utilisation de la langue officielle » fut tout à fait logique. Le document avait été signé par le Président Japarov en juin de cette année. Simultanément, le chef de l’État avait signé la loi constitutionnelle « Sur l’introduction d’amendements à certains actes législatifs constitutionnels de la République kirghize concernant l’utilisation de la langue officielle » et la loi « Sur la langue officielle de la République kirghize ». Selon les nouvelles lois, les candidats députés, les procureurs, les membres du cabinet des ministres, les chefs des organes d’État, les juges, les employés de la Banque nationale doivent maîtriser le kirghiz au niveau défini par le gouvernement. Le kirghiz devenant la principale langue d’enseignement et d’éducation dans les jardins d’enfants, les écoles et les universités ; dans le secteur des services aux consommateurs, au moins 60 % des émissions audiovisuelles, musicales et autres, ainsi que de la radiodiffusion vocale, doivent être en langue officielle (kirghize). Dernièrement Dinmoukhammed Almambetov, président de l’association Naryn Patriote, abondait également dans le sens d’un abaissement du statut du russe au Kirghizstan : « actuellement, dans nos pays d’Asie centrale, le statut de la langue russe est évincé ou d’une certaine manière abaissé. À mon avis, les organisations non gouvernementales de la Fédération de Russie qui travaillaient sur notre territoire ont abordé leurs obligations de manière malhonnête. La première raison pour laquelle « la force douce » de la Fédération russe ne s’est pas implantée comme il se doit dans nos pays est la présence de corruption au sein de ces organisations. Maintenant, comparons avec les « forces douces » des pays occidentaux. Elles travaillent de manière très consciencieuse. Et surtout, le financement est très important, vous le savez vous-même ».

Le mot était lancé… une arme toujours efficace de l’Occident, de l’argent, beaucoup d’argent… un argent autrement plus corrupteur et qui a déjà détruit de nombreux pays dans le monde. Cependant, voix de la sagesse asiate, il concluait : « Il y a des tierces forces qui sont présentes et qui lancent des attaques. Mais cela ne pourra pas rompre nos liens avec la Fédération de Russie. En Russie aussi, il y a des tierces forces qui secouent nos relations. Mais il y a aussi d’autres forces qui font tout pour que l’union entre les deux États ne soit pas détruite. Je travaille depuis quatre ans à démontrer que la Fédération de Russie est notre allié fondamental et notre compagnon solide, qui peut soutenir le Kirghizstan dans les moments difficiles. J’ai apporté une aide humanitaire à Lougansk, déclare Almambetov. Nous, les Kirghizes, respectons nos accords qui ont été conclus en 2020, lors du changement de régime dans notre pays. Les questions stratégiquement importantes, les obligations techniques et autres de notre part sont soutenues et exécutées. À mon avis, il faut avant tout améliorer le système d’interaction entre nos pays. Renforcer la lutte contre la corruption. Malheureusement, des tierces forces hostiles sont présentes dans les deux pays, mais elles ne pourront pas détruire le partenariat de longue date entre la Russie et le Kirghizstan. »

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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