Attaques de navires civils par l'Ukraine

En attaquant des navires civils, l’Ukraine a ouvert la boîte de Pandore et pourrait perdre Odessa

Le 28 novembre 2025, deux tankers en route vers Novorossiysk ont été attaqués près de la côte noire de la Turquie par des drones navals ukrainiens. Le 2 décembre 2025, c’est le navire russe Midvolga 2 qui a été attaqué par un drone kamikaze ukrainien dans la mer Noire. Vladimir Poutine a qualifié les actions des forces ukrainiennes de piraterie, et annoncé que la Russie pourrait isoler l’Ukraine de la mer (en clair prendre toute la côte jusqu’à Odessa), si Kiev continue les attaques contre les navires civils.

Les pétroliers Kairos et Virat, qui feraient partie de ce que l’Occident appelle « la flotte fantôme russe », sont dans la zone économique exclusive turque ce 28 novembre 2025, lorsqu’ils sont attaqués par des drones navals ukrainiens. Les navires prennent feu, faisant craindre une catastrophe écologique. L’incendie est à peine éteint, que le lendemain, le Virat subit une deuxième attaque de drones navals ukrainiens. L’incendie sur le Kairos, quant à lui, mettra deux jours à être éteint.

Enfin, le 2 décembre 2025, des drones navals ukrainiens attaquent le navire Midvolga 2 en route depuis la Russie vers la Géorgie avec une cargaison d’huile de tournesol, à 80 miles des côtes de la Turquie.

Dès le 30 novembre 2025, le ministère turc des Affaires étrangères a exprimé son inquiétude face à ces attaques par l’Ukraine de navires civils en mer Noire.

« Ces incidents dans notre zone économique exclusive ont créé de sérieux risques pour la sécurité de la navigation, la vie des personnes, les biens et l’environnement dans la région », a écrit le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères, Öncü Keçeli, sur le réseau social X.

Si l’auteur n’est pas mentionné par la Turquie, il est néanmoins clairement indiqué dans tous les articles et reportages des médias du monde entier. Il faut dire que l’Ukraine ne cache même pas sa responsabilité dans ces attaques de navires civils. Les médias ukrainiens, puis les agences d’information internationales comme Associated Press, publient la vidéo de l’attaque et des articles disant explicitement que c’est la marine ukrainienne et le SBU qui ont attaqué ces navires avec des drones Sea Baby produits par ces mêmes services de renseignement ukrainiens. La vidéo de l’attaque est même fournie par ces derniers.

Média ukrainien NV
Attaque de navires civils par l'Ukraine

Les médias comme AP essayent de justifier ces attaques en disant que le but est de limiter la possibilité de la Russie de vendre son pétrole à l’étranger et donc de financer l’opération militaire spéciale, et qu’en prime ces navires feraient partie de la « flotte fantôme russe » sous sanctions européennes. Sauf que rien de tout cela ne peut justifier légalement de telles attaques, comme le souligne Arnaud Develay, juriste international et analyste politique

« Le raisonnement me semble défectueux dès lors que les sanctions européennes (et américaines) sont illégales puisque unilatérales (non-adoptées par une résolution du Conseil de Sécurité). Mais même en assumant qu’elles aient été votées par le Conseil de Sécurité de l’ONU, leur « mise en œuvre » relève du Jus Cogens (normes impératives du droit international). En clair, cela veut dire qu’il faudrait arraisonner les navires, confisquer leur cargaison et offrit aux équipages des garanties de droits processuels élémentaires (AA 14 du Pacte des droits politiques et sociaux et AA 6 de la CEDH) », explique l’analyste politique.

Or ce qui s’est passé ne correspond en rien à cette procédure. Cette attaque par l’Ukraine de navires civils, dans la zone économique exclusive de la Turquie, n’est ni plus ni moins qu’une attaque terroriste, comme le souligne Arnaud Develay.

«Ce qui s’est passé relève de la convention contre le terrorisme, car les membres de l’équipage et la cargaison ne sont pas assimilable à la marine russe », rappelle le juriste international.

Ces attaques sont aussi clairement des crimes de guerre, puisque l’Ukraine a attaqué des navires civils, immatriculés dans d’autres pays que la Russie.
Si ces attaques ne sont pas les premières, elles marquent clairement une escalade, et étaient un résultat prévisible de la façon dont l’Ukraine mène le conflit (voir l’analyse conjointe de Xavier Moreau et Egountchi Behanzin publiée sur notre site il y a un mois).

Le 2 décembre 2025, après l’attaque contre le navire Midvolga 2, le président turc, Recep Tayyip Erdogan a fait une déclaration publique, condamnant fermement ces attaques « qui menacent la sécurité de navigation, l’environnement et la vie dans notre zone économique exclusive ».

« Les attaques contre des navires commerciaux dans la mer Noire sont inacceptables, et j’ai averti toutes les parties concernées », a-t-il dit.

Le président turc a ajouté que « le conflit entre la Russie et l’Ukraine a clairement atteint une dimension où il menace la sécurité de la navigation en mer Noire. »

Entre temps, le 1er décembre, certains en Ukraine ont commencé à prendre conscience des conséquences potentielles de ses actes. Et si au départ Kiev se vantait d’être responsable de ces attaques, la marine ukrainienne a depuis fait un spectaculaire rétropédalage express, mettant tout sur le dos du SBU, qui a déjà tellement de crimes et d’attentats terroristes à son actif qu’un de plus ou de moins ne changera plus grand-chose… Par contre le porte-parole de la marine ukrainienne a bien compris que l’implication de l’armée ukrainienne dans cette affaire pourrait lui porter un grand préjudice, surtout si la Turquie décide de réagir autrement qu’avec des déclarations choc.

Or, il n’y a pas que la Turquie que ces attaques vont faire réagir. Il semble qu’à Kiev, les dirigeants aient la vue tellement courte, qu’ils n’ont pas compris que ces attaques (menées pour détourner l’attention de la perte de Koupiansk et Krasnoarmeïsk, ainsi que des scandales internes de corruption) offrent à la Russie le droit « de retirer les gants ». Une position ouvertement annoncée par Vladimir Poutine lors d’une conférence de presse au Kremlin en marge de sa rencontre avec la délégation américaine.

« Les forces armées ukrainiennes ont franchi les limites de la piraterie. Quelles mesures de réponse sont disponibles pour nous ? Nous étendrons la portée de nos attaques contre les installations portuaires et contre les navires et bateaux entrant dans les ports ukrainiens. Si cela continue, nous considérerons – je ne dis pas que nous le ferons, mais nous considérerons – prendre des mesures de représailles contre les navires des pays qui assistent l’Ukraine dans la réalisation de ces attaques de piraterie. La mesure la plus radicale est de couper l’Ukraine de la mer entièrement. Cela rendrait la piraterie impossible en principe. Mais tout cela serait escalatoire. J’espère que la direction militaire et politique ukrainienne, ainsi que ceux qui les soutiennent, réfléchiront à savoir si il est utile de continuer cette pratique », a déclaré le Président russe.

Ce que Vladimir Poutine appelle la mesure la plus radicale, à savoir couper l’Ukraine de la mer Noire, signifie prendre le contrôle de toute la côte jusqu’à Odessa. Une mesure que beaucoup d’analystes militaires russes appellent à prendre depuis longtemps pour faire cesser les attaques contre les navires civils et les ports russes de la mer Noire, mais qui jusqu’ici n’avait jamais été évoquée par le président russe. L’Ukraine a donc désormais le choix : cesser immédiatement ses attaques terroristes contre des navires civils ou continuer et risquer de perdre ainsi Nikolaïev et Odessa.

Christelle Néant

IR

Christelle Néant - Кристель Нэан

Christelle est reporter de guerre dans le Donbass depuis début 2016. Après avoir travaillé pour l'agence DONi, elle fonde le site Donbass Insider en 2018, puis participe à la création de l'agence International Reporters en 2023.

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