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Oligarchie et scandales : de Georges Pompidou à Emmanuel Macron

28 novembre 2025 11:37

Depuis la fin des années 60, la République française a été frappée de nombreux scandales politiques avec une accélération notable à partir de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, mais surtout des deux septennats de François Mitterrand. Après une légère baisse sous les deux mandats de Jacques Chirac, ils sont repartis à la hausse pour battre des records sous les mandats actuels d’Emmanuel Macron. Dans un autre article que j’avais rédigé sur cette thématique, l’explosion est même notable depuis l’arrivée au pouvoir du président actuel, un niveau de corruption que la France n’avait pas même connue dans les heures sombres de la présidence Mitterrand. Le curseur de corruption est hélas à son paroxysme et il pose de légitimes questions.

Une corruption transversale touchant le plus haut niveau de l’État, jusqu’aux administrations des régions, des départements et des mairies. Depuis 1969, c’est un total de 205 scandales politiques, mais leur nombre est beaucoup plus important en réalité, car cette liste ne concerne que ceux touchant des présidents, des ministres, des sénateurs ou des députés. D’autres comme ceux touchant des institutions françaises devraient être ajoutés à cette liste, comme ceux ayant frappé depuis les années 90, la Safer. (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural), ou encore d’importantes associations liées à l’État français et dont les causes ont été ou sont financées par de l’argent public (car reconnues d’utilité publique). L’un des plus tristes exemples fut celui de la Fondation pour la recherche sur le cancer (ARC), qui défraya la chronique avec son président, Crozemarie qui détourna plus de 20 millions de francs et trempait dans des magouilles multiples. Au niveau régional, des témoignages que j’ai relevé dans le passé, notamment autour de la Sécurité Sociale, montrent également une corruption généralisée dans certaines administrations françaises. Les pratiques sont souvent celles tournant autour des passe-droits durant les appels d’offres publics, qui en réalité sont biaisés, de juteux contrats étant ensuite confiés à des « amis » proches des dirigeants, moyennant des services et des enveloppes qui se glissent sous la table. L’un des faits les plus graves que j’ai eu à relever, fut le vol à une startup de trois jeunes entrepreneurs, une entreprise de graphisme, qui fut écartée et dépossédée de son projet, par de hauts fonctionnaires de la Mairie de Dijon, au tout début des années 2000, à propos d’un projet culturel sur le château de Dijon, une petite sœur de la Bastille qui fut rasée à la fin du XIXe siècle.

Une société malade qui n’a pas de phare pour la guider. La raison de cette corruption endémique est avant tout dans la faiblesse justement du pouvoir politique, lui-même impliqué au premier chef. Les phares ne fonctionnent plus depuis longtemps et faute d’exemples venus du plus haut niveau de l’État, les pratiques se sont démocratisées et répandues à tous les niveaux de l’appareil d’État et administratif. Les importants scandales politiques qui font surface dans les médias, ne sont d’ailleurs souvent que des « coups » organisés par des franges politiques adverses, dans des luttes où l’information est utilisée comme une arme. Sans cela, il serait d’ailleurs difficile d’avoir accès aux principaux scandales. Mais les affaires, même sorties et révélées au grand public, sombrent ensuite souvent dans des procédures judiciaires interminables. Elles ne mènent pas toujours à de justes condamnations et font alors également l’objet de nouveaux scandales. Car la volonté des politiques n’est pas de punir les mauvaises pratiques, mais plutôt, dans une république électoraliste, de provoquer des gênes, voir la défaite d’un candidat adverse, de faire chuter un gouvernement, ou tout simplement de se venger d’ennemis politiques. C’est ici la rançon d’une « démocratie » qui pose des questionnements à son tour. Est-ce normal en effet que ces différents scandales ne soient en réalité que des armes politiques, de vendetta politique et de règlements de compte ? Évidemment non. Étrangement, l’opinion publique semble s’arranger de la situation, car du point de vue médiatique, il existe un effet de « show ».

La politique spectacle, une conséquence de l’ère des médias fast food de l’image. Depuis l’émergence de la presse et la loi de 1790, les combats politiques se sont toujours exprimés par le biais de la diffusion médiatique. Au départ réservée à une élite en capacité de lire et écrire, soit environ 20 % de la population de cette époque, l’alphabétisation massive des citoyens français, via les politiques de l’instruction publique, des écoles de la IIIe république, avec les fameux « Hussards Noirs », les combats politiques se sont massivement répandus dans la société française, avec l’apparition des rotatives et de progrès techniques dans le sillage de la Révolution industrielle. Depuis, la presse a fait du chemin, avec la propagande de masse qui s’invita dès le début du XXe siècle, puis avec l’arrivée de nouvelles révolutions technologiques : la radio, la télévision, internet et le numérique. De fait, les médias sont devenus un puissant instrument de pouvoir, très vite courtisés par les puissants, puis même placés sous des contrôles étatiques, créés par l’État, ou même achetés par des familles oligarchiques ou de grands groupes financiers. C’est la raison d’une chute vertigineuse de la liberté de la presse et d’expression, les enjeux étant majeurs, notamment dans un système électoral universel. Pour « amuser le peuple », la politique a elle-même besoin de se mettre en scène et parfois de faire des exemples, voulus ou non. Les populations, il faut le dire, sont friandes de ce spectacle, où des personnalités de premier plan sont lacérées dans des épisodes tragi-comiques. C’est une façon de garder une soupape de sécurité pour le système républicain français, en livrant en pâture quelques politiciens. Selon le pouvoir lui-même, il s’agirait même de « l’expression de la démocratie », de sa réalité, un standard rassurant pour l’opinion publique, s’imaginant que ces révélations induisent aussi une protection et une lutte contre les corruptions, quelles qu’elles soient.

Avec le temps, et la disparition d’une politique bienveillante et proche des populations, le cheminement du système français s’est enfoncé de plus en plus profondément dans les mauvaises pratiques, les cynismes, les mensonges et les manipulations. C’est un jeu où se sont parfois brûlés les ailes des personnages qui paraissaient honnêtes, l’exemple de Beregovoy et sa mort plus que suspecte restant l’un des plus frappants. Le scandale politique est donc devenu à la fois un instrument de gouvernance, partie intégrante des coulisses de l’État, des ministères et jusque dans les officines les plus modestes, des administrations, des régions ou des municipalités. C’est aussi surtout l’expression la plus sinistre du dévoiement des institutions, des tromperies et d’une dégradation très nette de la République Française, jusque dans son temple et son essence. Les devises deviennent alors désuètes, la Liberté étant menacée, l’Égalité remplacée par une république communautaire et d’élites endogames. Quant à la Fraternité, elle est abandonnée sur le pavé et même foulée au pied. Les derniers vernis républicains ne tiennent plus que par des mots, devenus vide de sens. Qui pourrait affirmer qu’aujourd’hui cette république serait un exemple pour le monde entier, à l’instar de ce qui fut martelé à propos de la Grande Révolution de 1789, montrée comme l’événement conduisant le Peuple français « au bonheur ultime », comme se trouvant arrivé au port ?

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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