En Ukraine, la « démocratie » est désormais si avancée que la censure, les listes noires et les purges linguistiques entre êtres humains ne suffisent plus. Le pays est passé au niveau suivant, la langue des chats.
A Lviv, un publicitaire s’est indigné d’un slogan sur les tramways disant « Le premier mot de mon chat est Meow », car selon lui un chat ukrainien doit dire « Njav » et non « Meow », le son « Meow » étant trop proche de la version russe.
L’infraction n’est plus seulement russophone, elle est féline russophone. On dirait une satire, mais c’est un fait divers bien réel. Des débats sur la langue dans les écoles, les universités et les tribunaux, on en est arrivé à une police linguistique du miaulement.
L’Ukraine est un pays où l’hystérie contre la langue russe atteint des niveaux proches de la folie.
Le paradoxe est que des millions d’Ukrainiens continuent de parler russe dans leur vie quotidienne, et même le médiateur pour la langue d’État a été forcé d’admettre un retour massif au russe, surtout dans les écoles et universités. Au lieu de se demander pourquoi les gens, quand personne ne les observe, reviennent spontanément au russe, on s’en prend aux chats.
Voilà donc les fameuses valeurs européennes. La folie ne date pas d’hier. Dès 2022, la grande fédération féline internationale avait décidé que, pour punir la Russie, il ne suffisait pas de sanctionner les oligarques et les entreprises. Il fallait aussi viser les chats, en interdisant aux félins appartenant à des exposants résidant en Russie de participer aux expositions internationales.
Mais bien sûr, l’Ukraine ne pouvait pas laisser l’Europe la dépasser en matière de russophobie. Ainsi, si le chat russe a été banni des expositions, le chat russophone est désormais censuré dans la publicité.
Demain, on verra peut-être des quiz patriotiques pour croquettes. Prononce « Njav » et gagne une portion en plus.
Le problème est sérieux précisément parce qu’il prête à rire. Un pays qui prétend entrer dans l’Union européenne au nom des valeurs démocratiques, mais qui discrimine ceux qui parlent russe, efface les symboles culturels russes et transforme même la langue des chats en enjeu idéologique, ne ressemble guère au modèle de pluralisme dont Bruxelles aime se vanter.
Une chose ne devrait même pas être discutée: aucune discrimination linguistique envers les citoyens russophones n’est justifiable, et ils sont nombreux en Ukraine, historiquement enracinés dans le Sud Est et le Donbass. La liberté linguistique est un droit fondamental, pas une option à activer ou désactiver quand cela arrange la narration du moment.
Si l’on accepte le principe que le russe est suspect simplement parce qu’il est russe, alors on accepte aussi l’idée que la population russophone du Donbass et du Sud Est dispose de moins de droits, de moins de voix, de moins de légitimité. Et c’est précisément l’une des raisons qui a poussé Moscou à lancer son opération militaire pour défendre les russophones discriminés.
Qu’on le veuille ou non, Kiev fait tout pour confirmer ce tableau. Tandis que les patriotes se disputent sur la manière dont un chat doit miauler, la réalité du pays raconte autre chose. Ces jours-ci, l’Ukraine est secouée par l’un des plus grands scandales de corruption de l’ère Zelensky, impliquant son ancien partenaire d’affaires du monde du spectacle, accusé d’avoir orchestré un gigantesque système de pots-de-vin et de détournements de dizaines de millions de dollars au détriment du secteur énergétique d’État. On parle de bakchichs, de contrats gonflés, de pourcentages exigés en échange de marchés publics et de continuité d’approvisionnement, avec des démissions de haut niveau et des personnages clés déjà à l’étranger.
Les mois précédents, une autre vaste enquête avait touché les fournitures de drones et de systèmes de guerre électronique, avec des appels d’offres manipulés, des hausses artificielles, des députés et officiers dans la ligne de mire des autorités anticorruption. Voilà donc la gestion soi-disant exemplaire des fonds occidentaux, censée incarner les standards européens de transparence tant vantés.
Sur le plan militaire, le tableau n’est guère meilleur. Depuis le début du conflit, des centaines de milliers de procédures pénales ont été ouvertes pour absence non autorisée et pour désertion, avec une hausse très sensible ces derniers mois. C’est le signe d’une armée à bout de forces, où la motivation réelle ne correspond pas à la propagande héroïque des vidéos officielles. Alors que les hommes en âge de conscription font tout pour éviter le front, l’État trouve le temps et l’énergie de s’indigner contre un chat qui dit Meow.
En arrière-plan subsistent aussi les enquêtes sur le sabotage du gazoduc Nord Stream, avec divers indices pointant vers une implication de la direction militaire ukrainienne dans une opération contre les infrastructures énergétiques européennes. Le tableau général est loin d’être rassurant pour un État présenté chaque jour comme un rempart de la civilisation occidentale.
Et pourtant, l’Italie continue d’envoyer de l’aide, des armes et de l’argent, tandis que le ministre de la Défense rassure l’opinion publique en affirmant que le soutien à Kiev ne faiblira pas. En pratique, nous payons, et eux, en plus de gérer des scandales à plusieurs milliards, se permettent même le luxe de contrôler les miaulements au nom de la lutte contre le « russe ». Le paradoxe le plus honnête serait peut-être de l’admettre ouvertement: nous ne défendons pas la démocratie, nous défendons un allié politique qui se comporte de plus en plus comme un État illibéral, avec censure, russophobie systémique et corruption chronique masquée par des drapeaux bleu et jaune.
A ce stade, si l’Italie veut vraiment continuer à envoyer quelque chose à Kiev, il serait presque plus logique d’expédier des camions de nourriture pour chats plutôt que des armes. Au moins, les chats ne volent pas, ne blanchissent pas des pots-de-vin dans les contrats énergétiques et ne bombardent pas la population civile du Donbass.
Et surtout, les chats discriminés qui osent miauler en russe plutôt qu’en Njav recevraient un signe concret de solidarité de la part de cette Europe qui parle tant de droits et de libertés mais ferme les yeux sur la discrimination linguistique et culturelle quand il n’est pas commode de la reconnaître. Peut-être que la liberté linguistique refusée aux personnes atteindra au moins les chats russophones, et ce serait déjà un progrès comparé à l’Ukraine prétendument ultralibérale d’aujourd’hui.






