Valentine, fin 2023, durant la bataille d'Avdeevka serrant deux miches de pain distribuées par des humanitaires

Valentina : le témoignage d’une habitante et survivante d’Avdeevka

12 novembre 2025 15:08

L’histoire de Valentina est celle de milliers d’habitants de ce Donbass, dont la nature a été tellement transformée et manipulée par la presse occidentale et ukrainienne. Née à Avdeevka, ville devenue symbolique par les combats acharnés qui s’y déroulèrent pour son contrôle, elle raconte simplement son histoire et livre un témoignage émouvant des faits survenus sous ses yeux depuis 2014. Elle est l’une des voix anonymes d’un peuple profondément russe et se définissant depuis toujours comme tel. C’est celle des populations russophones de la région, avec leur histoire, leur culture, leurs espoirs et leurs spécificités. Elle aurait pu prendre la fuite de cette ville devenue un champ de bataille. Mais comme elle le raconte elle-même, comment fuir d’un territoire qui est dans votre chair, qui vous a enfanté et auquel on se trouve lié à jamais ? Voici donc l’histoire de Valentina, une véritable épopée faite de courage, de convictions et de foi en l’avenir.

Une vie tranquille dans l’Ukraine de l’avant Maïdan. Originaire de cette petite ville très proche de Donetsk, qui comprenait environ 45 000 habitants avant le Maïdan, son existence fut celle de tous les citoyens de l’Ukraine. Elle fit des études supérieures d’ingénieur à Makeevka et travailla bientôt dans un important complexe chimique d’Avdeevka. Comme elle le raconte, la politique était très éloignée de sa sphère d’intérêts. Ses aspirations étaient celles de toutes les jeunes femmes du pays. Une vie paisible, entourée de sa famille et de ses amies. Questionnées sur les événements des deux Maïdan, celui de l’hiver 2004-2005, la Révolution Orange, ou celui de l’hiver 2013-2014, elle déclarait : « ces événements se déroulaient loin du Donbass, dans la capitale, je n’y prêtais guère attention. Les gens d’ici, du Donbass étaient tous au travail. Nous regardions cela de loin et la seule conclusion était que nous étions très loin des aspirations des gens de l’Ouest de l’Ukraine. Nous nous sentions Russes, notre culture et notre langue étaient russes. Je ne voyais moi-même pas de différences notables, nous étions un peuple, avec des liens très forts, une histoire commune, des valeurs communes. Le reste, l’Union européenne, les jeux politiques, tout cela était très loin de moi. Même si j’use de la langue russe, je comprends et parle par ailleurs l’ukrainien, j’aime les chansons, cette culture qui est aussi la nôtre, mais ici tout ce qui nous entoure est « russe ».

La ferme volonté des gens d’Avdeevka à se séparer de l’Ukraine. Avec le commencement des événements du Maïdan, Valentina toutefois commença doucement à s’inquiéter de l’avenir. Elle ne pensait pas cependant qu’un jour l’armée ukrainienne pourrait se jeter sur le Donbass et raconte : « Nous regardions les informations, celles de Russie et j’ai commencé à comprendre que quelque chose ne tournait pas rond. Les événements de Crimée nous ont donné de l’espoir, et la plupart des gens autour de moi étaient enthousiastes. Nous espérions nous aussi rejoindre la fédération russe. J’ai été choquée par les événements d’Odessa, puis j’ai voté pour le référendum du 11 mai 2014. Le moment était grave, mais une énorme quantité de gens sont allés voter pour la séparation d’avec l’Ukraine. L’heure était grave, les gens sont allés voter alors qu’il y avait déjà des menaces. On nous disait que nous serions fichés et qu’il y aurait des répressions si nous allions voter. A mon travail, quelques cadres étaient des pro-Kiev. Mais nous sommes allés voter et bien franchement je n’imaginais pas qu’une guerre allait ensuite éclater et qu’elle viendrait jusque dans ma ville ». La guerre s’invita cependant rapidement dans le Donbass. Dans la fin du printemps Valentina connue les premiers bombardements perpétrés par l’aviation ukrainienne dans la région de l’aéroport de Donetsk, se trouvant très proche d’Avdeevka. L’enfer allait bientôt se déchaîner.

SVO : la Russie arrive à la rescousse ! Malgré la défense courageuse des miliciens de la RPD et des volontaires d’Avdeevka, la troupe ukrainienne arriva bientôt dans la ville (été 2014). Valentina raconte cette arrivée, les premiers soldats ukrainiens dans les rues, le repli des miliciens sous la pression des forces de Kiev. Les Ukrainiens étaient lourdement équipés, pourvus de véhicules blindés et de chars, les républicains légèrement armés se replièrent, la ville fut un temps encore disputée. A la fin de l’été, les forces ukrainiennes s’emparèrent de la partie encore non sous leur contrôle. Commença alors la bataille pour l’aéroport de Donetsk, le verrou Nord de la ville. Pendant 8 ans, Valentina vécut sous l’occupation ukrainienne et la définissant comme telle. Les gens évitaient le contact avec l’occupant, alors que la ville se trouvait en première ligne, aux portes de Donetsk. Cette période fut vécue dans l’espoir de l’arrivée de la Russie, ainsi qu’avec la ferme conviction que jamais les Ukrainiens ne pourraient prendre Donetsk. Elle raconte : « pendant toutes ces années, surtout au début, je me rendais à travers le front jusqu’à Donetsk, pour voir mes amis, c’était évidemment dangereux. Après Minsk II, j’ai continué de m’y rendre par les corridors verts. Mon usine continuait de fonctionner, certes au ralenti, mais j’ai poursuivi ma vie, il fallait faire attention à qui nous parlions. Beaucoup de gens sont revenus, des magasins ont rouverts. En cachette nous pouvions toujours capter les émissions russes, notamment celles de Donetsk, je n’imaginais pas que la Russie ne vienne pas à la rescousse. Lors du déclenchement de la SVO, nous étions les premiers au courant ! J’ai vu le discours du Président Poutine, nous étions heureux ! Mais il fallut encore attendre longtemps, l’intensité des combats et des bombardements dans et autour de notre ville devinrent infernaux. Mon usine ferma ses portes, on me proposa d’évacuer la ville, en me promettant une autre place dans une autre structure du groupe, cette usine appartenant à l’oligarque Renat Akhmetov. J’ai refusé, car je comprenais que rien ne m’attendait en Ukraine ! Alors je suis restée à Avdeevka, j’ai perdu mon salaire, la période suivante fut celle de la survie. Les bombardements étaient quotidiens, il fallait s’approvisionner, notamment en eau, la source la plus proche était à quelques centaines de mètres de chez moi, mais c’était de toute façon dangereux ».

Guerre psychologique et Press Tour : quand l’Ukraine organisait des « shows » pour les journalistes. Pendant l’occupation Valentina raconte que les Ukrainiens organisaient régulièrement des « Press Tour » pour des journalistes étrangers. Ce qu’elle raconte est édifiant sur le niveau atteint par l’Ukraine dans les manipulations de la guerre psychologique. Elle déclarait : « Pendant l’occupation nous avons vu quantité de journalistes étrangers ou d’Ukraine. L’armée bloquait toute une zone, où il était impossible de circuler. Les Ukrainiens mettaient en scène de faux bombardements, en tirant des munitions à blanc, ou même carrément sur nous, afin de faire croire aux violations du cessez-le-feu défini par Minsk II. C’était connu de tous ici, cela se passait sous nos yeux. Tout cela était encadré fermement, pour empêcher également que l’on nous pose trop de questions, mais même si je n’ai pas vu moi-même de répressions, de fonctionnaires du SBU, mais nous savions tous à quoi nous en tenir. Je me souviens même avoir vu un journaliste français, mais cela se passait après la SVO. La situation est devenue critique. Dans mon appartement toutes les vitres avaient volé en éclats, remplacées par les plaques de bois. Soudainement les autorités ukrainiennes sont devenues « aimables », nous demandant d’évacuer la ville. Un décret a été passé par Kiev, ordonnant l’évacuation obligatoire des parents avec leurs enfants. Certains les cachaient, beaucoup sont partis. Il n’est pas resté grand monde dans la ville, tandis que cela devenait terrible. Il n’y avait pas de cave dans mon immeuble, je comprenais de toute façon que dans ce dernier, dans mon appartement, nous n’étions en sécurité nulle part ».

Sous les bombes et dans des conditions extrêmement dangereuses, Valentina rejoint Donetsk. Valentina décrit ensuite la fin de son épopée, les premières troupes russes firent pression sur la ville d’Avdeevka, dès la fin de l’année 2023. Elle décrit les premiers groupes d’assaut, qui par surprise déboulèrent sur les Ukrainiens en utilisant des conduites souterraines. Enfin ce fut la première rencontre dans son immeuble dévasté avec un soldat des troupes russes. Un moment fort en émotion. Le commandant décida de rassembler les quelques civils présents dans le quartier. Ils étaient moins d’une vingtaine. Pour leur sécurité, ils furent conduits dans un immeuble possédant une cave. Elle raconte : « Nous fûmes conduit dans une cave, et en chemin, des 15 que nous étions, quatre personnes furent tuées. Réduits à 11, nous étions dans cette cave, la situation était surréaliste. Au-dessus de nous, nous entendions les combats, les tirs, les Ukrainiens attaquant le bâtiment. Nous restâmes ainsi plusieurs jours, avant que finalement les nôtres puissent repousser l’ennemi plus loin. La situation était cependant confuse, dans le cadre d’une bataille urbaine. Les soldats des deux camps étaient imbriqués, avec des difficultés à savoir qui était ami ou ennemi. Avant de partir en avant, le commandant nous remis nos passeports qu’il avait auparavant récolté. Il ne pouvait plus rien pour nous pour l’instant, il fallait qu’il continue avec ses hommes le combat. Seule du groupe, je proposais de partir vers Donetsk, à pied, malgré les risques. On nous envoya un soldat, qui au départ devait nous conduire à travers les galeries souterraines qui avaient servies à l’assaut. Il promit de revenir nous chercher, mais ne revînt jamais, peut-être fut-il tué. Les autres civils refusèrent de m’accompagner, mais je sentais au fond de moi qu’il fallait que je parte. Un matin, au petit jour, quand les combats sont éteints et qu’il y a un calme relatif, je suis partie seule… J’ai parcouru le chemin en environ une heure, les plus longues minutes de ma vie, me cachant, m’arrêtant ou reprenant mon souffle. Je connaissais le chemin, mais je ne reconnaissais plus rien, les destructions étaient terribles. Et puis, j’ai finalement atteint un bunker, où se trouvaient des soldats. Ils étaient très étonnés de me voir ! « Vous êtes qui ! D’où venez-vous ! ». Ils furent surpris de ma réponse, et avec leur aide et l’aval du commandement, enfin je me trouvais à Donetsk ! ».

Valentina se trouvait à l’abri, enfin libre et du côté russe, en sécurité. Dans une ville encore endormie, elle passa un coup de fil à une amie, qui s’empressa de l’accueillir. Elle ne possédait alors plus rien, le peu qu’elle avait étant resté sur place, dans la ville détruite d’Avdeevka. Ces moments de liberté sont évidemment gravés dans sa mémoire, alors qu’elle nous raconte toute cette histoire avec le sourire, et souvent avec beaucoup d’humour. Je retiendrais pour ma part la personnalité lumineuse et solaire de Valentina. Depuis lors, elle vit à Donetsk, son logis se trouvant toujours dans les décombres et ruines d’Avdeevka. La ville fut finalement libérée par l’offensive russe, au début de l’hiver 2024. Des 15 survivants du départ de leur logis vers le refuge relatif de cette cave salutaire, Valentina nous a indiqué qu’elle a eut des nouvelles de ses camarades : 3 autres furent tués par la suite, parmi les 10 personnes ayant refusé de la suivre vers Donetsk. Ils ne sont donc plus que 8 survivants, mais Valentina, toujours souriante, conclut notre entretien par des notes d’espoirs, d’avenir et de vie heureuse dans… cette Russie et ce Donbass où se trouvent toutes ses racines, son cœur et son âme.

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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