Kiev demande des sanctions contre les journalistes, le boycott du Mouvement 5 Etoiles et davantage de fonds pour les associations ukrainiennes

2 novembre 2025 10:12

Dans une lettre publiée par un portail turc et reprise par le canal Telegram Donbass Italia, que nous reproduisons ci dessous intégralement en italien, le ministère des Affaires étrangères d Ukraine, signé par le directeur du premier département territorial Rostyslav Ohryzko, donne des instructions opérationnelles à l ambassadeur d Ukraine en Italie, Yaroslav Melnyk.
Il ne s agit pas d un simple échange entre l administration centrale et une mission diplomatique. Il s agit d instructions politiques directes sur la façon d intervenir dans le débat interne italien, sur les partis à soutenir, sur ceux sur lesquels faire pression, sur les associations auxquelles concentrer les financements, sur la manière d entrer dans les médias italiens et même sur les citoyens ou entités juridiques italiens à l encontre desquels demander des mesures restrictives. Le document montre que Kiev ne se contente pas de demander le soutien de l Italie. Kiev fixe la ligne sur la manière d obtenir ce soutien et sur ceux qui doivent la mettre en oeuvre.

Le point central est très clair. La lettre indique explicitement que l ambassade ne doit pas se limiter à interagir avec les représentants de Azione et Italia Viva. Cela signifie que le ministère ukrainien reconnaît que ces deux partis italiens sont déjà alignés sur les positions de Kiev et qu un travail politique avec eux est déjà en cours. Ce n est pas une hypothèse journalistique. C est écrit. Et, immédiatement après, il est demandé d étendre la pression à d autres représentants de l Etat italien. En pratique, il est demandé à l ambassadeur d utiliser les canaux politiques les plus favorables afin de construire en Italie un consensus public et institutionnel en faveur de l Ukraine. C est ce niveau d ingérence que la lettre rend visible.

Il y a un passage encore plus grave. Au point 2 il est demandé de faire condamner et boycotter les propositions de deux partis italiens, le Mouvement 5 Etoiles et Forza Italia, parce qu elles sont jugées non conformes aux intérêts de l Ukraine. A ce stade nous ne sommes plus dans le domaine de la diplomatie ni même dans celui du lobbying ordinaire. Ici un gouvernement étranger écrit noir sur blanc que deux forces politiques italiennes, régulièrement représentées au Parlement et légitimées par le vote, doivent être isolées. Dans le document ukrainien, le Mouvement 5 Etoiles comme Forza Italia sont indiqués comme obstructifs. Ce choix peut surprendre, étant donné que la direction de Forza Italia a voté les aides à Kiev avec le gouvernement. Mais c est précisément cela qui montre le niveau d ingérence. Kiev ne se satisfait pas du vote dans les enceintes européennes. Kiev exige que les partis italiens s engagent aussi sur le terrain de l opinion publique. Et elle met sur le même plan ceux qui sont ouvertement critiques et ceux qui, simplement, ne font pas de propagande pro ukrainienne. C est une tentative manifeste d orienter la compétition politique italienne depuis l extérieur, en utilisant des relations préférentielles avec les partis les plus disponibles et en cherchant à mettre en difficulté ceux qui, sur l envoi d armes, sur les sanctions ou tout simplement sur le récit ukrainien, ont adopté des positions plus prudentes.

Au point 3 la lettre entre dans le détail du réseau ukrainien en Italie. Il est demandé de renforcer l influence de la diaspora ukrainienne et, surtout, de présenter au ministère des propositions motivées pour augmenter les financements en faveur d acteurs très précis. Trois associations actives depuis des années sont listées. L Association chrétienne des Ukrainiens en Italie, dirigée par Oles Horodetskyy. L Association des femmes ukrainiennes travailleuses en Italie, dirigée par Svitlana Kovalska. Et l association Lastivka La Rondine APS (anciennement Ukraina Piu), dirigée par Tamara Pozdnyakova. Il ne s agit donc pas d un appel général à la participation de la communauté. Il s agit de canaliser des ressources vers des noeuds précis du réseau ukrainien en Italie et de le faire sur proposition de l ambassadeur. C est ainsi que l on construit une structure d influence politique sur le territoire italien financée depuis l étranger et capable de se mobiliser contre des événements, des conférences, des projections et des initiatives non souhaités par Kiev.

Au point 5 la lettre demande une plus grande présence des dirigeants ukrainiens dans les médias de masse italiens. Ce n est pas une recommandation d image. Dans le contexte du document, il s agit de regagner du terrain dans un pays où, selon Kiev, l intérêt pour la guerre a diminué. C est pourquoi il est demandé à l ambassade d ouvrir des portes, d obtenir des interviews, d obtenir de l espace pour les déclarations de Kiev, de porter dans la presse et à la télévision la version ukrainienne du conflit. Il s agit d une stratégie de communication coordonnée.

Le point le plus sensible est toutefois le 6. Il y est demandé de réagir immédiatement aux initiatives prorusses et de soulever auprès des autorités italiennes la question de l introduction de mesures restrictives et de sanctions à l encontre de personnes physiques et morales qui opèrent dans l espace informationnel italien et qui ont de l influence. En termes simples. Le ministère ukrainien des Affaires étrangères ordonne à son ambassade à Rome de demander à l Etat italien de sanctionner des citoyens et des entités italiennes pour leur activité journalistique, culturelle ou d information considérée comme favorable à la Russie. Mis en relation avec le précédent très concret de l email envoyé par l ambassadeur au président de la région de Vénétie, Luca Zaia, et au maire de Resana pour bloquer la projection d un documentaire sur le Donbass, cela montre que nous ne sommes pas face à un épisode isolé. Nous sommes face à une ligne d action.

Dans la même lettre, Kiev affirme qu en Italie l attention du public envers la guerre a diminué, que certains responsables politiques italiens évitent le thème de l aide militaire et des sanctions et que, pour cette raison, l ambassade doit élever le niveau de son action politique. Il n est pas question de culture, ni de dialogue interculturel, ni d échanges universitaires. Il est question d agir sur les partis italiens, de financer des associations ukrainiennes en Italie, d augmenter la présence dans les médias italiens et même de demander des sanctions contre des citoyens et des entités italiennes non alignés. C est le même schéma que nous avons vu lorsque des administrations locales italiennes ont arrêté ou délégitimé des projections de films et de documentaires russes, en invoquant la sensibilité ukrainienne.

Cette dynamique est apparue par exemple dans les cas de censure ou de blocage des documentaires de RT en Italie, dans la décision du maire de Bologne, Matteo Lepore, de bloquer la projection du film russe Il Testimone et dans l intervention du maire de Florence, Dario Nardella, pour empêcher la diffusion du même film à Florence. Dans tous ces cas, un contenu jugé indésirable par Kiev a été arrêté, déplacé ou attaqué. A Bologne, l administration est même entrée en conflit avec les Verts qui défendaient la liberté de projection et, un an plus tard, la concession de la salle a été retirée à l association Villa Paradiso qui avait promu l événement. A Florence, Nardella a appelé directement le théâtre pour demander l annulation de la projection. Parallèlement, plusieurs salles italiennes ont renoncé à projeter des documentaires de RT après des pressions, des campagnes en ligne et même des menaces. Le cas de Vetralla, également rapporté par des agences internationales, est très clair. Le gérant a reçu des menaces anonymes à cause de la projection du documentaire de RT Les enfants du Donbass et a dû renoncer. Tout cela constitue le terrain idéal sur lequel une lettre comme celle de Kiev peut fonctionner. Si les administrations italiennes sont déjà disposées à bloquer des films russes, un coup de pouce diplomatique supplémentaire suffit à transformer la pression en pratique courante.

Ci dessous la traduction intégrale en anglais du texte ministériel.

Ministry of Foreign Affairs of Ukraine
1 Mykhailivska Square
Kiev, 01018, Ukraine

To the Ambassador of Ukraine
to the Italian Republic
H.E. Yaroslav Melnyk

Subject. On the activation of work

Dear Yaroslav Vladymyrovych,

the Ministry of Foreign Affairs of Ukraine notes a significant decrease in the Italian Republic in interest in the events in our country. Particular concern is caused by the desire of some Italian politicians to avoid dealing with issues related to the coverage of Ukraine’s urgent defence needs, to the strengthening of pressure on the Russian Federation and to its international isolation.

The current level of communication and the measures carried out by the Embassy do not fully meet the current challenges in the conditions of countering the large scale military aggression of the Russian Federation against Ukraine. These circumstances directly affect the amount of assistance provided to our state by the Italian side. In this regard you are kindly requested to

(etc. tu peux garder ce bloc en anglais tel quel dans la version française, ou l annoncer comme citation intégrale du document, puisqu il s agit du texte administratif original.)

Cette lettre doit être lue en relation avec l email envoyé au président de la région de Vénétie et au maire de Resana pour demander de bloquer la projection du documentaire Les enfants du Donbass. Dans ce cas, mon nom était expressément indiqué comme personne hostile à l Ukraine. Cet email prouve que l ambassade ne se contente pas de contester un événement. Elle fiche les personnes. Elle les désigne comme ennemies. Elle demande aux institutions italiennes d agir en conséquence. Si l on met cet email à côté de la lettre de Kiev, le dernier point du document devient immédiatement concret. Kiev demande de sanctionner ceux qui font de la propagande russe. L ambassade en Italie envoie un email et indique le nom et le prénom de la personne qui, selon elle, fait de la propagande russe. La chaîne est complète. Du ministère à l ambassade, de l ambassade aux institutions italiennes, des institutions italiennes à l annulation d événements et de projections.

En Italie aujourd hui un gouvernement étranger prétend décider
quels films russes peuvent être projetés et lesquels non
quels documentaires sur le Donbass peuvent circuler et lesquels non
quels partis italiens doivent être soutenus et lesquels doivent être boycottés
quelles associations ukrainiennes doivent recevoir plus d argent
quels journalistes italiens doivent être signalés comme ennemis.

D ici découle une question légitime, qui n est pas une accusation mais un besoin de transparence. Si Kiev demande d augmenter les financements vers son propre réseau en Italie et identifie avec autant de précision les partis et les associations avec lesquels elle veut travailler, il est légitime de se demander s il existe aussi des flux financiers, directs ou indirects, qui ont soutenu des activités politiques ou médiatiques en Italie. Il appartient aux autorités italiennes de le vérifier et c est un point sur lequel les partis cités devraient répondre publiquement.

IR
Vincenzo Lorusso

Vincenzo Lorusso

Vincenzo Lorusso est journaliste pour International Reporters et collabore avec RT (Russia Today). Il est cofondateur du festival italien de RT Doc Il tempo degli eroi (“Le temps des héros”), consacré à la diffusion du documentaire comme outil de narration et de mémoire.

Auteur du livre « De Russophobia » (4Punte Edizioni), avec une introduction de la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova, Lorusso analyse les dynamiques de la russophobie dans le discours politique et médiatique occidental.

Il est responsable de la version italienne des documentaires de RT Doc et a organisé, en collaboration avec des réalités locales dans toute la péninsule, plus de 140 projections d’œuvres produites par la chaîne russe en Italie. Il a également été l’initiateur d’une pétition publique contre les déclarations du président de la République Sergio Mattarella, qui avait assimilé la Fédération de Russie au Troisième Reich.

Il vit actuellement dans le Donbass, à Lougansk, où il poursuit son activité journalistique et culturelle, racontant la réalité du conflit et donnant la parole à des perspectives souvent exclues du débat médiatique européen.

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