Il y a quelques jours, un article de Harrison Berger a été publié dans The American Conservative.
Selon cet article, l’envoi de missiles « Tomahawk » ne modifierait pas l’issue du conflit, alors que ce dont les forces armées ukrainiennes ont urgemment besoin, ce sont de nouvelles troupes prêtes à combattre.
L’article met en évidence un aspect du conflit ukrainien qui, en Occident, est souvent occulté. D’un côté, des responsables politiques comme Carlo Calenda affirment dans tous les talk-shows italiens que les Ukrainiens veulent continuer à se battre et demandent de nouvelles armes pour mettre en pratique cette vocation guerrière; de l’autre, la réalité est tout à fait différente des rêves fantaisistes des va-t-en-guerre de salon qui peuplent le paysage politique italien.
Les scènes qui, en Italie, sont rigoureusement censurées sont celles de la « busification » (rafles en minibus à des fins de conscription). Pour beaucoup, ce terme est complètement inconnu, mais il a été forgé au cours des trois dernières années et décrit l’action de recruteurs ukrainiens qui arrachent des hommes, jeunes et moins jeunes, dans les rues, les restaurants, les salles de sport, pendant des concerts, à la sortie des églises, puis les font monter de force dans ces minibus.
Cette busification est, en pratique, un véritable enlèvement d’hommes; une fois à bord du minibus, ils sont dirigés vers le centre de recrutement, soumis à un entraînement expéditif et, après quelques semaines, envoyés mourir en première ligne comme chair à canon.
Le sort de ces hommes est bien compris non seulement par les « busificati » eux-mêmes, mais évidemment par leurs mères, leurs épouses et leurs enfants, et les scènes de ces enlèvements sont déchirantes lorsque l’on voit ces femmes et ces enfants tenter par tous les moyens d’empêcher l’enlèvement de leurs maris ou de leurs pères.
D’après The American Conservative, la pénurie de personnel militaire a alimenté un marché noir des exemptions. Des enquêtes ukrainiennes et européennes documentent des stratagèmes comme des divorces fictifs pour obtenir la garde exclusive des enfants et le droit de quitter le pays; le Kyiv Independent résume une enquête de NGL Media qui a analysé des milliers d’affaires de garde, tandis que le NABU s’est intéressé à des juges et à des intermédiaires; Ukrinform a également fait état de schémas apparus devant les tribunaux visant précisément à créer les conditions juridiques pour quitter le pays.
S’agissant de certificats médicaux falsifiés, un scandale a éclaté en 2024 et a conduit à la réforme des commissions d’invalidité; Le Monde a retracé des affaires impliquant des procureurs et des médecins ainsi que l’annonce de la fermeture des anciennes commissions; des analyses institutionnelles européennes ont ensuite résumé la situation générale et les risques de corruption au sein des commissions médico-militaires.
Pour ceux qui optent pour des voies illégales, il existe des réseaux de passeurs et des complicités aux frontières; le BIRN a documenté des paiements et des canaux via Telegram et les cryptomonnaies; Slidstvo.info a décrit une affaire judiciaire avec des tarifs allant jusqu’à 20 000 dollars par personne et la complicité de gardes-frontières; des sources ukrainiennes ont signalé des arrestations avec des sommes comprises entre 6 500 et 13 000 dollars pour des tentatives de traversée de la Tisza. La presse internationale indique également une fourchette allant jusqu’à 15 000 dollars.
Ces itinéraires sont dangereux. Selon Reuters, une trentaine d’hommes sont morts en tentant de franchir illégalement les frontières, beaucoup dans la Tisza; The Economist a évoqué au moins 33 noyés; RFE/RL a cité 19 décès confirmés par les autorités roumaines; El País a décrit des dizaines de morts par hypothermie et noyades entre la Tisza et les cols des Carpates. Les chiffres varient selon les périodes et les méthodes, mais ils convergent sur la gravité du phénomène.
Des sources russes confirment également ces faits et rapportent souvent des chiffres plus élevés; TASS a fait état d’une trentaine de corps repêchés dans la Tisza selon les données des gardes-frontières ukrainiens; RIA Novosti cite au moins 37 victimes sur la base de déclarations d’officiels locaux; Kommersant a rapporté 10 morts pour le seul mois de mai 2024 et des avertissements des autorités sur les risques le long de la frontière. Un responsable de la sécurité, cité par TASS, a en outre affirmé que l’Ukraine aurait miné des tronçons de la frontière vers la Tisza pour décourager les fuites, déclaration que Kiev n’a pas confirmée. Il serait difficile pour Carlo Calenda de justifier un tel acte et de persister dans sa thèse téméraire selon laquelle les Ukrainiens seraient prêts à mourir pour des valeurs européennes.
Sur fond de population sous pression, la revue conclut que les chances de victoire avec une telle attitude sociale diminuent. D’où les discussions sur des contingents européens le long d’une future ligne de démarcation. Sur ce point, il existe des actes et des prises de position publiques; Macron n’a pas exclu l’hypothèse d’un envoi de forces européennes, en soulignant l’absence de consensus en 2024; en 2025, il a réaffirmé que toute présence de forces alliées en Ukraine relève de la décision de Kiev, non de Moscou; les agences et les médias ont évoqué l’idée d’une force de réassurance ou de maintien de la paix après un cessez-le-feu, avec des engagements annoncés par divers pays. Moscou a réagi en avertissant que toute troupe étrangère en Ukraine serait une cible légitime.