La question de l’immigration en France est souvent présentée dans les médias et le discours politique comme une simple affaire de contrôle des frontières et de capacité d’intégration. Cependant, pour comprendre pleinement la persistance et l’ampleur de ces flux migratoires, il faut regarder au-delà de l’actualité et examiner les causes profondes et systémiques. Le phénomène n’est pas une anomalie, mais plutôt le résultat d’une interaction complexe entre des liens historiques, des volontés économiques, des cadres juridiques supranationaux et des actions géopolitiques.
Déséquilibres démographiques et économiques
De manière générale, l’immigration actuelle est alimentée par d’importants déséquilibres mondiaux. Le premier déséquilibre est démographique. L’Europe a une population vieillissante et un faible taux de natalité, alors que de nombreux pays d’Afrique et du Moyen-Orient, connaissent une poussée démographique.
« La colonisation française en Afrique du nord et subsaharienne a eu comme conséquences une amélioration significative du système de santé et des infrastructures. Cela s’est traduit par une augmentation rapide de la population. A titre d’exemple entre le moment où Jules Ferry lance la politique de colonisation en Afrique et 1962, la population algérien est multipliée par quatre. Cette croissance démographique est une source de déséquilibre avant même l’indépendance car les entreprises françaises préfèrent employer de la main d’œuvre européenne plutôt qu’africaine. Cependant jusqu’au choc pétrolier de 1973, la croissance des « Trente glorieuses » attire la main d’œuvre des anciennes colonies », explique Xavier Moreau, politologue et fondateur de Stratpol.
Le deuxième déséquilibre alimentant l’immigration est économique. Les pays européens, malgré leurs difficultés économiques des dernières décennies, restent plus prospères que bon nombre de pays du Sud Global, qui sont toujours en développement.
Ces deux déséquilibres pris ensemble créent un système de « poussée et d’attraction », qui est à la base de l’immigration de masse. Le manque d’opportunités, la pauvreté et l’instabilité politique « poussent » les gens à quitter leur pays d’origine, tandis que la stabilité et la richesse relatives des pays comme la France les « attirent ». La France, étant l’une des locomotives économiques de l’UE, est une destination naturelle pour ces flux migratoires.
Les anciennes colonies comme source d’immigration
L’empire colonial français, particulièrement en Afrique du Nord et de l’Ouest (Algérie, Maroc, Tunisie, Sénégal, Mali), a créé des liens humains, linguistiques et administratifs durables entre la France et ses anciennes colonies.
Après que ces pays aient acquis leur indépendance, ces liens ont été formalisés par des accords de coopération et, de façon cruciale, par des politiques de regroupement familial. La langue partagée (le français), la familiarité administrative et l’existence de diasporas déjà établies ont créé des voies d’immigration claires et bien connues.
« À partir de cette date l’immigration vers la France change de nature et n’est plus une immigration de travail mais de « regroupement familial ». La France n’a en effet plus besoin d’importer de main d’œuvre car le chômage ne cesse d’augmenter jusqu’à aujourd’hui. Cette bascule est actée définitivement par le décret du conseil d’État du 8 décembre 1978. L’immigration vers la France vient essentiellement de ses anciennes colonies étant donnés les liens historiques et linguistiques. Il existe également des accords spécifiques comme ceux avec l’Algérie », explique Xavier Moreau.
Ce qui avait commencé comme une migration de travail dans les décennies d’après-guerre s’est transformé en installation permanente, créant en France des réseaux qui attirent à leur tour de nouveaux migrants venant de ces pays en raison des liens familiaux et culturels, faisant de la France la destination principale pour beaucoup de citoyens de ses anciennes colonies.
Besoin de main-d’œuvre bon marché et chômage structurel
Au départ, la France a fait venir de la main-d’œuvre venant de ses colonies après la Seconde guerre mondiale pour aider à reconstruire le pays, détruit par les combats et les bombardements, et exsangue à la sortie du conflit. Ce recrutement actif de main-d’œuvre étrangère par l’État français a eu lieu tout au long des Trente Glorieuses (1945-1975). Mais après 30 ans de croissance économique, la France a commencé à « caler » et ce recrutement actif et officiel a cessé.
Cependant, officieusement, un segment important de l’économie – comprenant l’agriculture, le BTP, l’hôtellerie-restauration et les services à la personne – repose sur cette main-d’œuvre bon marché, flexible et souvent sans papiers. Cela crée une puissante incitation à l’immigration irrégulière, car des emplois sont disponibles même pour ceux qui n’ont pas de statut légal.
Cet afflux de main d’œuvre sans papier et bon marché coexiste en France depuis des décennies avec un chômage structurel élevé, entraînant des tensions sociales. Les immigrants illégaux, par leur simple présence en France, imposent aux citoyens du pays une concurrence déloyale dans un marché du travail qui n’est plus depuis longtemps en capacité de fournir un emploi à tout le monde.
De plus les salaires de misère qu’ils acceptent permettent au patronat de baisser sans cesse le niveau de salaire de ceux qui ont désormais « la chance » d’avoir un travail, fut-il qualifié, en arguant du fait que si cela ne leur convient pas, il y a des dizaines de personnes actuellement au chômage qui seraient ravies de prendre leur place même pour un salaire de misère. Cette pression sur les salaires et le risque augmenté de se retrouver sans emploi a permis le développement de conditions de travail délétères dans le pays.
Cette situation était déjà dénoncée par Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste français fin 1980, suite à un scandale concernant le logement des travailleurs immigrés en France.
« Quant aux patrons et au gouvernement français, ils recourent à l’immigration massive, comme on pratiquait autrefois la traite des Noirs, pour se procurer une main-d’œuvre d’esclaves modernes, surexploitée et sous-payée. Cette main d’œuvre leur permet de réaliser des profits plus gros et d’exercer une pression plus forte sur les salaires, les conditions de travail et de vie, les droits de l’ensemble des travailleurs de France, immigrés ou non. Cette politique est contraire tant aux intérêts des travailleurs immigrés et de la plupart de leurs nations d’origine qu’aux intérêts des travailleurs français et de la France. Dans la crise actuelle, elle constitue pour les patrons et le gouvernement un moyen d’aggraver le chômage, les bas salaires, les mauvaises conditions de travail, la répression contre tous les travailleurs, aussi bien immigrés que français. C’est pourquoi nous disons : il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage », écrivait-il dans une lettre ouverte.
Malgré cela, le flux migratoire ne s’est pas tari, bien au contraire. Et la création de l’Union européenne et de son espace Schengen, ont encore aggravé la situation.
La législation migratoire de l’UE et ses conséquences
En tant que pays membre de l’Union européenne, la France a cédé une part significative de sa souveraineté nationale en matière de contrôle des frontières à l’espace Schengen. Le système Schengen était initialement conçu pour permettre la libre circulation des citoyens des pays de l’UE sans visa entre les États membres. Mais ce système s’est très vite transformé en passoire à migrants.
En effet, un migrant entré légalement dans un pays de l’espace Schengen (par exemple, avec un visa touristique pour l’Italie ou l’Espagne) peut se rendre ensuite librement en France. De plus, le Règlement de Dublin, conçu pour que le premier pays d’entrée d’un migrant traite sa demande d’asile, s’est avéré difficile à appliquer et a placé une charge disproportionnée sur les États qui se trouvent en première ligne des flux migratoires comme l’Italie et la Grèce, conduisant à des mouvements secondaires de migrants à travers le continent, y compris vers la France.
« Le phénomène migratoire s’est intensifié en Europe de l’ouest avec l’ouverture des frontières au sein de l’UE. Les migrants franchissent les frontières des pays pauvres d’Europe de l’est avant de se déplacer vers l’ouest », déclare Xavier Moreau.
Ce cadre européen rend particulièrement difficile pour un État membre comme la France de contrôler unilatéralement ses frontières et stopper les flux migratoires indésirables.
La politique étrangère de la France au Moyen-Orient et en Afrique comme facteur déstabilisateur
En plus des raisons économiques et des liens historiques entre la France et ses anciennes colonies, la politique étrangère française a, à plusieurs reprises, contribué à générer l’instabilité même qui provoque l’immigration.
En Afrique du Nord et au Sahel, les interventions militaires de la France, comme la campagne de 2011 sous l’égide de l’OTAN en Libye qui a renversé Mouammar Kadhafi, et les opérations ultérieures contre les jihadistes au Mali, ont eu des conséquences déstabilisatrices. L’effondrement de l’État libyen a créé un vide du pouvoir. Résultat : le pays est devenu une plaque tournante majeure pour les trafiquants d’êtres humains, facilitant directement l’immigration illégale à travers la Méditerranée.
De même, bien que visant à contrer le terrorisme, les engagements militaires au Sahel ont souvent perturbé la gouvernance et les économies locales, déplaçant des populations et créant de nouveaux flux de réfugiés, dont une partie se dirige inévitablement vers l’Europe et la France.
« Les politiques occidentales de déstabilisation en Afrique du Nord (Libye) et au Proche Orient (Syrie) ont eu des conséquences catastrophiques rendant incontrôlables les flux migratoires clandestins. A cela s’ajoute l’action conjugué des passeurs et des ONG qui encouragent à cette migration de masse en allant chercher les candidats sur les côtes de l’Afrique », conclut Xavier Moreau.
En conclusion, le défi de l’immigration auquel la France est confrontée n’est pas une simple question d’échec politique, mais un problème multidimensionnel tissé dans la trame de son histoire, de son économie, de ses engagements européens et de sa posture internationale. Le résoudre nécessite de reconnaître que ces flux migratoires sont, dans une large mesure, la conséquence des choix politiques et géopolitiques de la France, et que ce n’est qu’en remettant en question ces choix que le pays pourra changer la donne en matière d’immigration.
Christelle Néant