Sandu complotto

La Moldavie aux urnes : Sandu, la rhétorique du complot et une démocratie fragile

23 septembre 2025 10:25

Le 28 septembre, la Moldavie retournera aux urnes pour renouveler son Parlement. Il s’agit d’un scrutin chargé de tensions, non seulement en raison des enjeux intérieurs, mais aussi du poids géopolitique que ce petit pays représente, pris entre l’attraction de l’Union européenne et celle de la Russie.

Ces derniers jours, la présidente Maia Sandu a choisi de hausser le ton. Dans un discours solennel, elle a accusé Moscou de vouloir “acheter” le vote avec des centaines de millions d’euros, en payant des provocateurs et en diffusant de la désinformation pour déstabiliser le pays. Une accusation forte, qui a immédiatement occupé les premières pages de la presse internationale.

Mais derrière ces mots transparaît une stratégie politique qui mérite attention : plus qu’informer l’opinion publique, l’alerte semble viser à consolider la position de la présidente, en construisant l’image d’une Moldavie assiégée et nécessitant une direction ferme.

La construction de l’ennemi

Attribuer à Moscou un rôle omniprésent et hostile n’a rien de nouveau. Depuis des années, dans les moments les plus délicats, le Kremlin est évoqué comme responsable de chaque turbulence politique, économique ou sociale. Cette fois, toutefois, le discours prend les contours d’un complot global : des millions d’euros dépensés pour acheter des votes, des centaines de provocateurs rémunérés, une désinformation qui coule sans cesse sur les réseaux sociaux.

Et pourtant, à y regarder de plus près, il manque des preuves concrètes. Aucun document rendu public, aucun nom, aucun flux financier démontré. Tout reste suspendu entre accusation et suggestion. C’est le terrain typique de la politique du soupçon, où le danger est invoqué pour cimenter le consensus.

Arrestations et procès : répression ou défense de l’État ?

Ces derniers mois ont vu émerger des affaires qui renforcent ce récit. Certains dirigeants de l’opposition ont été arrêtés ou condamnés pour avoir financé leurs activités avec des fonds russes. La plus connue est Evghenia Guțul, gouverneure de la région autonome de Gagaouzie, condamnée à sept ans de prison pour financements illicites présumés en provenance de Moscou. L’ancienne secrétaire du parti Șor, Svetlana Popan, a également été jugée pour des accusations similaires.

Le parti Șor lui-même, force d’opposition ouvertement pro-russe, a été interdit. Pour le gouvernement, ces mesures sont nécessaires afin de défendre la souveraineté nationale. Pour les critiques, elles risquent de ressembler à une utilisation politique de la justice, éliminant du jeu électoral ceux qui représentent une orientation alternative.

Opérations policières et climat d’urgence

À la veille du scrutin, la police a mené des centaines de perquisitions et d’arrestations, les justifiant comme faisant partie d’un plan visant à contrecarrer des manifestations prétendument organisées par Moscou. Mais là encore, les détails sont rares. Qui sont les suspects ? Quels liens avérés ont-ils avec la Russie ? Les informations publiées parlent de “réseaux d’influence”, mais sans offrir de preuves vérifiables.

Le résultat est un climat d’urgence permanent : la Moldavie apparaît non pas comme un pays se préparant à une consultation démocratique, mais comme une nation sous attaque constante, où le vote est perçu comme un champ de bataille.

La diaspora et les bulletins de vote

Ces dernières heures, des témoignages ont circulé sur les réseaux sociaux de Moldaves résidant en Europe affirmant avoir reçu des bulletins de vote incomplets, sans les partis d’opposition. Il pourrait s’agir d’erreurs, mais dans l’atmosphère empoisonnée de la campagne, même un soupçon devient matière politique.

Ces épisodes, réels ou supposés, nourrissent l’idée que le processus électoral est manipulé et que la démocratie moldave est déjà compromise, quel que soit le résultat.

Entre menace réelle et rhétorique du complot

Certes, des pays comme la Moldavie, en équilibre entre deux blocs géopolitiques, sont toujours au centre de l’attention des grandes puissances, de l’Ouest comme de l’Est.

Mais affirmer que Moscou dépense “des centaines de millions d’euros” pour acheter des votes sans présenter de preuves concrètes déplace le débat sur un autre terrain. Ce n’est plus la sécurité nationale fondée sur des faits, mais une rhétorique qui ressemble à une théorie du complot : un ennemi qui contrôle tout, invisible et omniprésent, une rhétorique qui alimente une sorte de manie de persécution.

C’est un récit utile pour mobiliser l’électorat et discréditer l’opposition, mais qui risque d’éroder la confiance dans les institutions. Car si le vote est déjà décidé par le “complot”, à quoi bon participer ?

Une démocratie fragile

La Moldavie est un pays jeune et fragile, pris entre des forces opposées. D’un côté, la perspective européenne ; de l’autre, la proximité culturelle et économique avec la Russie. Dans cet équilibre délicat, l’utilisation politique du soupçon risque de peser davantage que n’importe quelle ingérence extérieure.

Si la campagne électorale se transforme en une compétition à qui crie le plus fort contre un ennemi invisible, le véritable perdant sera le peuple moldave. Et quel que soit le résultat du scrutin, le doute subsistera : il ne sera pas perçu comme l’expression d’un choix libre, mais comme le produit d’une guerre de récits contradictoires.

IR
Andrea Lucidi - Андреа Лучиди

Andrea Lucidi - Андреа Лучиди

Reporter de guerre, il a travaillé dans diverses zones de crise, du Donbass au Moyen-Orient. Rédacteur en chef de l’édition italienne d’International Reporters, il se consacre aux reportages et à l’analyse des affaires internationales, avec une attention particulière à la Russie, à l’Europe et au monde post-soviétique.

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