8 settembre 1943

8 septembre 1943 : l’Italie capitule

8 septembre 2025 00:27

Le soir du 8 septembre 1943, à 19h42, la voix métallique du maréchal Pietro Badoglio brise le silence de la radio italienne : « Le gouvernement italien, reconnaissant l’impossibilité de poursuivre la lutte inégale contre la puissance écrasante de l’ennemi, dans l’intention d’épargner à la Nation de nouveaux et plus graves malheurs, a demandé un armistice au général Eisenhower. La demande a été acceptée. En conséquence, tout acte d’hostilité contre les forces anglo-américaines doit cesser de la part des forces italiennes. »

Ces mots, brefs et génériques, marquaient la fin de l’alliance avec l’Allemagne nazie, mais ouvraient en même temps le chapitre le plus dramatique de l’histoire nationale italienne. Ce n’était pas seulement une reddition militaire. C’était l’effondrement d’un système politique et social tout entier, fondé vingt ans plus tôt sur le régime fasciste et sur le mythe d’une monarchie forte et garante.

Le calcul de Badoglio et la fuite du roi

Derrière la décision se cachait un réseau d’intérêts et de calculs personnels. Après la destitution de Mussolini le 25 juillet, Badoglio avait été appelé à diriger un gouvernement présenté comme le garant de la continuité de l’État. Officiellement, l’Italie tournait la page. En réalité, la plupart des élites militaires, bureaucratiques et politiques restaient les mêmes qui avaient soutenu et bénéficié du fascisme. Badoglio lui-même avait été un acteur des guerres coloniales et un homme de confiance du régime. Son objectif, plus que d’ouvrir une nouvelle ère démocratique, était de gagner du temps et d’assurer pour lui-même et pour le roi une place sûre dans l’avenir qui se dessinait.

Cette même nuit, le roi Victor-Emmanuel III, accompagné de la reine, du prince héritier et du gouvernement, quitta Rome précipitamment pour se réfugier à Brindisi sous la protection des Alliés. Une fuite qui eut la valeur symbolique d’une trahison : le commandement suprême abandonnait ses propres soldats et officiers sans directives claires.

La monarchie, qui s’était légitimée pendant vingt ans comme pilier du fascisme, cherchait alors à se détacher in extremis, sans rompre véritablement avec ce passé. Le résultat fut le chaos. Des milliers de soldats se retrouvèrent à la dérive, sans savoir s’il fallait continuer à obéir aux Allemands ou résister, livrer les armes ou combattre. En Grèce, en Yougoslavie, dans les îles méditerranéennes et même en Italie, des unités entières furent capturées par la Wehrmacht, souvent sans résistance, parce qu’aucun ordre précis ne leur avait été donné.

Une Italie sans direction

Le 9 septembre, les Allemands mirent en œuvre l’opération Achse, préparée de longue date : ils occupèrent militairement la péninsule, désarmèrent les troupes italiennes et instaurèrent un régime de terreur. L’Italie se retrouva coupée en deux : au sud, sous contrôle allié et monarchique ; au nord, occupée par les nazis et bientôt confiée à la République sociale italienne de Mussolini, réinstallé au pouvoir par les chars allemands.

L’armée italienne, qui comptait des millions d’hommes, se dissout en quelques jours. Environ 600 000 soldats furent déportés en Allemagne comme internés militaires. D’autres parvinrent à fuir et à rejoindre les premiers groupes de résistance. Beaucoup, simplement, tentèrent de rentrer chez eux à pied, le long de routes dévastées par la guerre.

Le vide laissé par la monarchie et par Badoglio n’était pas seulement militaire mais aussi politique. L’Italie se retrouva sans direction légitime. Dans ce vide s’engouffrèrent les partis antifascistes, qui depuis des mois, voire des années, se préparaient à la reconstruction.

Le retour des antifascistes

Après vingt ans de dictature, les anciens partis démocratiques — socialistes, communistes, membres du Parti d’Action, républicains, démocrates-chrétiens — refirent surface. Beaucoup de leurs dirigeants avaient été persécutés, confinés, emprisonnés ou contraints à l’exil. D’autres avaient maintenu une présence clandestine dans le pays, souvent liée au mouvement ouvrier ou au monde intellectuel.

Avec la chute de Mussolini et l’armistice, ces hommes redevinrent acteurs de premier plan. Ce ne fut pas un processus linéaire : la méfiance mutuelle et les divergences idéologiques demeuraient fortes. Mais la gravité du moment imposa l’unité. L’Italie était occupée par les Allemands, dévastée par la guerre, abandonnée par ses dirigeants institutionnels. Il fallait une force capable d’organiser la résistance et en même temps de concevoir l’avenir.

Le 9 septembre, à Rome, dans la maison du socialiste Giuseppe Romita, naquit le Comité de libération nationale (CLN), qui rassemblait communistes, socialistes, membres du Parti d’Action, démocrates-chrétiens et libéraux. L’objectif immédiat était de coordonner l’opposition au nazifascisme ; à long terme, de préparer la construction d’une nouvelle Italie démocratique, fondée sur des institutions qui n’accepteraient plus jamais la dictature ni la complicité monarchique.

Un pays divisé

Le 8 septembre marqua ainsi une césure historique : d’un côté, l’ancien monde monarcho-fasciste, qui cherchait à survivre en changeant de camp et en se réfugiant sous le parapluie allié ; de l’autre, les forces antifascistes, qui voyaient dans la tragédie nationale l’occasion de refonder l’Italie sur des bases radicalement nouvelles.

La population italienne vécut ces jours-là dans la stupeur et la peur. Dans les campagnes et les villes arrivaient des nouvelles fragmentaires : soldats dispersés cherchant des vêtements civils, Allemands occupant les points stratégiques, bombardements alliés sur les voies ferrées. Dans ce chaos naquirent les premiers groupes de partisans, souvent formés de soldats en fuite ou de jeunes refusant d’être enrôlés dans l’armée de Salò.

Le 8 septembre ne fut pas seulement la reddition d’une armée. Ce fut l’effondrement d’une classe dirigeante qui, après avoir soutenu le fascisme, tenta à la dernière heure de se sauver en laissant le pays à l’abandon.

De la défaite à la renaissance

Certains ont qualifié le 8 septembre de « mort de la Patrie ». Pour des millions d’Italiens, cette date coïncida avec un sentiment d’abandon, avec une défaite morale autant que militaire. Mais en même temps, elle marqua le début d’une nouvelle histoire.

Dans les mois suivants, le CLN devint le cœur politique de la résistance. Sous sa direction se développa une guerre populaire contre l’occupation nazie et contre les fascistes de la RSI. Ce fut un processus douloureux, qui coûta des dizaines de milliers de vies, mais qui permit à l’Italie, en 1945, de se présenter non seulement comme un pays vaincu, mais aussi comme un pays qui avait combattu pour sa propre libération.

La monarchie, compromise par son ambiguïté et par la fuite du roi, ne retrouva jamais sa crédibilité. Le référendum du 2 juin 1946 consacra la naissance de la République. Ce jour-là, trois ans après l’armistice, la page se tournait définitivement : l’Italie n’avait pas seulement changé de chapitre, elle avait choisi de se refonder sur de nouvelles bases.

Conclusion

Le 8 septembre 1943 demeure l’une des dates les plus douloureuses et décisives de notre histoire. C’est le jour de la honte, de la débâcle, d’une reddition sans honneur. Mais c’est aussi le jour qui ouvre la porte à la renaissance. La fuite du roi et l’opportunisme de Badoglio révélèrent l’échec de l’ancien système. Le retour des partis antifascistes et la naissance du CLN indiquèrent la voie de la démocratie et de la résistance.

De la défaite naquit une nouvelle Italie. Non pas grâce à ceux qui avaient gouverné puis trahi, mais grâce à ceux qui, dans les usines, dans les montagnes, dans les villes occupées, décidèrent que la liberté devait être reconquise de leurs propres mains.

IR

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