L’Arménie et l’Azerbaïdjan seraient-elles tombées dans un piège US ?

L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont conclu avec les États-Unis un accord de règlement pacifique du conflit entre Erevan et Bakou. C’est un succès diplomatique américain qui a déjà fait le tour du monde, mais l’accord ne sera valide qu’à partir du moment où un changement constitutionnel sera réalisé en Arménie, avec une renonciation officielle de ce pays sur le Haut-Karabagh. L’accord prévoit la location d’un corridor de sécurité, le corridor de Zanguezour, déjà appelé « corridor Trump », à la frontière iranienne. Cette dernière information implique des conséquences qui devraient faire tendre l’oreille à l’opinion internationale, car jamais des Américains, ou des Anglo-Saxons en général n’ont fait quelque chose sans avoir une idée derrière la tête… un intérêt secret. Analyse d’un accord inquiétant pour l’avenir de l’Arménie et de la région.

Une défaite de l’Arménie déjà actée mais désormais totale. Les pourparlers entre les trois dirigeants, de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et des USA, avaient été annoncés par Bakou ouvertement. Mais en Arménie l’annonce des négociations avaient été jusqu’au dernier moment gardée secrète. La date de son déroulement n’était de toute façon pas anodine, se plaçant en fait dans la période de vacances du Premier ministre arménien (28 juillet-15 août). Le «congé » du Premier ministre fut donc une couverture, dans l’idée également de faire passer la pilule à l’opinion publique arménienne, elle-même moins concentrée sur l’actualité. Une stratégie où l’État français est passé maître, en passant des séries de lois liberticides et contraire aux intérêts du Peuple français pendant les vacances. L’accord signé est par ailleurs extrêmement défavorable à l’Arménie, car en plus de la perte définitive du Haut-Karabagh, l’Arménie s’apprête aussi à céder les derniers territoires frontaliers sous son contrôle, sans parler du fameux corridor. Certains analystes indique que le Premier ministre Nikol Pachinian aurait obtenu des garanties américaines par rapport à sa propre sécurité et celle de sa famille. Car cette capitulation en rase campagne signe l’arrêt de mort des Arméniens du Haut-Karabagh, ou dans la plupart des cas, la fuite et l’exil et la perte de tous leurs biens. Déjà, des observateurs internationaux signalent la destruction de cimetières et d’églises orthodoxes arméniens, et le vol des propriétés privées dans le Haut-Karabagh. L’affaire semblait de toute façon décidée par avance, car la rencontre entre les trois dirigeants n’a duré que 20 minutes… La photo « souvenir » qui fut prise ensuite, a été très mal perçue en Arménie, d’un Premier ministre caché derrière l’accord brandit par les trois hommes, et bafouillant des phrases vides et banales, dans une situation aussi grave, où l’Arménie était humiliée publiquement.

Le cheval de Troie du corridor de Zanguezour. L’affaire serait encore acceptable, malgré la triste capitulation de l’Arménie, si le choc de l’accord n’aurait été l’annonce de la remise d’un corridor, le corridor de Zanguezour, à la partie américaine… et à la frontière iranienne. La position de l’Arménie, déjà très affaiblie par la politique européiste et atlantiste de Pachinian, s’aggrave donc notablement. Le mémorandum livre en effet pieds et poings liés le pays à l’Azerbaïdjan, et à l’influence de la Turquie. Loin de la région, l’Union européenne n’avait de toute façon aucun moyen de protéger l’Arménie, et le dos tourné à la Russie par l’Arménie aura provoqué l’écroulement rapide de cette dernière. Immédiatement les USA se sont engouffrés dans la brèche, car depuis leur mise à la porte de la Géorgie voisine, et la fuite de l’ex-présidente française Salomé Zourabichvili, les États-Unis cherchaient toujours à mettre un pied dans le Caucase du Sud. La position est en effet stratégique et permet aussi de créer une menace contre la Russie et l’Iran. Cette stratégie du cheval de Troie a réussit à plusieurs reprises, notamment dans le cas dramatique du Kosovo, ou de l’Ukraine. De son côté la Turquie a atteint un autre objectif, après avoir soutenu en sous-main la destruction de la Syrie, elle pousse de nouveaux pions. Rappelons que l’histoire entre la Turquie et l’Arménie est à jamais marquée par le terrible génocide. Pire encore, les statuts du corridor indiquent qu’il sera cédé pour 99 ans aux USA, ce qui rappelle les humiliantes concessions faites aux puissances occidentales par la Chine au début du XXe siècle (Hong Hong, Macao, etc.).

Trump viserait-il un prix Nobel de la Paix qui fut remis autrefois à Obama ? C’est une possibilité qui ne peut-être écartée, alors que le président Trump avait promis d’imposer la paix en Ukraine par tous les moyens (mais surtout en soutirant des avantages financiers ou des ressources aux victimes, cf : les terres rares d’Ukraine). Les choses ne sont d’ailleurs pas claires au niveau des arguments que Trump aura servi au Premier ministre Pachinian. Le pays connaît le drame d’une énorme diaspora dispersée à travers le monde. Ceux du Haut-Karabagh iront probablement les rejoindre. Actuellement, il se trouve plus d’Arméniens vivants en Russie qu’en Arménie, la deuxième diaspora au monde se trouvant aux USA, la France accueillant également une importante communauté. Mais le futur prix Nobel « Trump » ne doit pas faire oublier que les États-Unis s’installent dans une région, où ils n’avaient jamais pu mettre les pieds officiellement. De fait, Zanguezour deviendra le Hong Kong du Caucase du Sud, avec tout ce que cela implique. Cette porte ouverte sur le Caucase, alors que l’Occident annonçait il y a 3 ans avec l’Ukraine, vouloir y fonder un second front inquiète fortement en Russie, mais aussi en Iran, voire en Chine. D’un seul coup, une puissance étrangère se trouvant à des milliers de kilomètres, devient un acteur implanté dans la région. Tout l’équilibre régional s’en trouve changé, alors qu’autrefois les Américains avaient attisé la guerre contre l’URSS en Afghanistan, à partir du Pakistan, l’événement laisse pensif. Cette base américaine sera par ailleurs un nouvel avant-poste de « l’encerclement » de la Russie, et personne ne peut ignorer la présence dans le Caucase, d’une ressource enviée… le pétrole.

En signant ce mémorandum, malgré les applaudissements en Occident, ou de gens qui ne comprennent pas les tenants et les aboutissants, Pachinian aura sans doute signé la destruction de l’avenir de l’Arménie. L’accord prépare de nouveaux drames pour un pays qui en a subi déjà de nombreux dans son histoire. Une fois l’accord signé, toute résistance de l’Arménie deviendra impossible, et les effets à longs termes ne sont pas prévisibles, à savoir la potentielle disparition de l’Arménie comme État constitué. La Turquie et l’Azerbaïdjan ne pouvaient espérer mieux, et Pachinian entrera dans l’histoire de son pays comme l’un des pires Judas.

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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