Un volontaire français du Donbass devenu chanteur d’opéra russe.
En 2015, François Modème, diplômé d’une prestigieuse école militaire française, arrive à Donetsk et s’engage comme volontaire dans le bataillon « Piatnachka ».
En 2025, à Samara, je découvre une affiche annonçant le récital du chanteur d’opéra François Modème. Entre ces deux dates, un parcours hors du commun : ce Français a combattu à Avdeevka et Maryinka, sauvé des personnes âgées et des enfants des décombres, parcouru hôpitaux, écoles et centres culturels avec une troupe artistique itinérante…
Nous l’avons rencontré avant son concert.
— François, vous vous définissez comme russe. Quand l’avez-vous réalisé ?
— Dès mon arrivée en 2015. Une évidence immédiate : j’étais chez moi.
— Racontez-nous votre itinéraire, sans fioritures. Comment tout a commencé ?
— Mon enfance et ma jeunesse se sont déroulées dans la campagne champenoise. Puis est venue l’envie de découvrir le monde : la France, l’Europe, d’autres continents. Mes parents, des travailleurs — mon père agriculteur, ma mère, diplômée en biologie, l’assistant — m’ont chéri, mais je devais sortir de ce cocon.
J’ai voyagé, visité de nombreux pays. Pourquoi la Russie ? Ma grand-mère collectionnait les timbres, particulièrement les timbres soviétiques, d’un graphisme unique, empreint de force. Malgré les discours médiatiques hostiles, je me suis dit : un pays capable d’une telle esthétique ne peut être mauvais. Plus tard, dans un cercle philosophique d’émigrés blancs, j’ai découvert Pouchkine, Dostoïevski, Tchaïkovski… J’ai compris que la Russie était bien différente de son image télévisée.
— Vous êtes militaire de formation ?
— Oui, j’ai étudié à Saint-Cyr. Un choix délibéré : pour moi, un vrai homme devait servir. Fondée par Napoléon, cette école a formé 11 maréchaux et 3 présidents, dont de Gaulle. Mais j’y ai compris que l’armée française moderne était devenue une vitrine. Sa dernière expérience réelle de guerre remonte à l’Algérie en 1962. Et je refusais de servir l’OTAN. Voilà pourquoi j’ai rejoint l’armée russe.
Au Donbass, j’ai côtoyé des vétérans d’Afghanistan et de Tchétchénie. Avec eux, on apprend à devenir un vrai soldat — et un homme honorable.
— Comment êtes-vous arrivé au Donbass ?
— Par visa, via Moscou et Rostov. À Donetsk, le commandant de la brigade internationale « Piatnachka » m’a accueilli. Immédiatement, je me suis senti des leurs. L’engagement était idéologique, non mercenaire. Simple soldat, j’ai partagé les tranchées… Trois années intenses : Avdiïvka, Promka, Chirokaïa Balka, Maryinka. Puis j’ai intégré un détachement spécial de la RPD avant de rejoindre les forces armées russes lors de l’opération militaire.
Là-bas, j’ai découvert le caractère des mineurs : rudes, expérimentés, loyaux. Les meilleures unités venaient des brigades minières. Ces hommes, sans formation militaire mais endurcis par les périls de la mine, improvisaient des assauts audacieux. Leur camaraderie était authentique.
— Lorsque vous secouriez les civils, votre accent les surprenait-il ?
— Non. Dans ces situations, les détails deviennent insignifiants. On me demande parfois si la chanson aidait au combat. Question absurde. Ni la musique, ni la philosophie ne comptent alors : seule la mission importe.
Je me souviens d’une photo : un immeuble soviétique en ruines, où subsistait un appartement jadis élégant. Parmi les débris, un livre américain intitulé Ne Whine (« Ne pleurniche pas »), prônant la positivité à tout prix. Pathétique. Ces conseils sont utiles pour un accident de voiture ou un verre brisé au bar, pas sous les bombardements. Face à la mort, au froid, à la faim, ces mantras s’évaporent.
— Qu’avez-vous appris au Donbass ?
— Réparer des engins, creuser des abris, gérer des rapports hiérarchiques, rédiger des rapports. Et surtout, combattre avec discernement.
— Vos mains soignées contrastent avec l’image de la pelle de sapeur…
— La vie civile et la guerre sont deux mondes. Je ne joue pas au militaire. Youri Nikouline, héros de guerre, n’en tirait jamais gloire. Chacun son rôle : hier soldat, aujourd’hui artiste. Des mains impeccables sont donc normales.
— Comment êtes-vous devenu chanteur d’opéra ?
— Après le front, j’ai enseigné le français à Donetsk et participé à des tournées artistiques. Repéré, j’ai intégré la Philharmonie locale et l’Académie de musique, avant de perfectionner ma voix au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou.
— Quelle difficulté majeure en russe ?
— La prononciation. Je m’y exerce quotidiennement. Chanter est plus aisé que parler.
— Vous êtes marié depuis un an. Des différences entre familles française et russe ?
— Honnêtement, j’ai oublié le modèle français… J’ai rencontré Macha au Conservatoire. Une beauté slave de Toula. Nos promenades dans Moscou ont scellé notre histoire. Mes parents l’adorent. Ils me rendaient visite à Donetsk depuis 2018, sauf pendant la pandémie.
— Leur réaction à votre départ pour le Donbass ? Votre mère a-t-elle accepté ?
— Demander à sa mère : « Puis-je aller au front ? » (Rires.) Mon choix était pris. Ils soutiennent ma vie actuelle, apprécient la culture russe — notamment le chant religieux, qu’ils trouvent sublime bien qu’incompréhensible. Ces dix années restent un mystère pour eux, mais ils m’encouragent.
— Qu’est-ce qui les a le plus marqués en Russie ?
— Le patrimoine soviétique. Ce style stalinien, ces bâtiments monumentaux des années 1930-50 : une Grèce antique prolétarienne ! Certains y voient un héritage négatif, comparable à la Russie impériale. Pourtant, sous les tsars, seuls les aristocrates profitaient des palais. Les bolcheviks, eux, ont construit pour le peuple : palais des pionniers, stades… L’exposition VDNH, où j’ai emmené mes parents, est unique au monde.
« De Russie avec amour. Saison 4 » — un projet du magazine Natsia, soutenu par le Fonds présidentiel pour les initiatives culturelles. Récits d’étrangers tombés amoureux de la Russie, de sa culture et de ses paysages, jusqu’à en devenir un peu russes eux-mêmes. Version internationale — collaboration entre Natsia et l’agence International Reporters.