Nikita Kolomoïtsev était un jeune du Donbass, qui avait tout l’avenir devant lui. Il était au printemps de sa vie, et il fut martyrisé à l’âge de 21 ans par d’infâmes bourreaux de l’Ukraine. Il est l’une des milliers de victimes des répressions, crimes et massacres de Kiev dans le Donbass. L’événement se déroula dans la fournaise de l’été 2014, et dans l’indifférence générale de l’Occident. Sur les routes du Donbass progressaient depuis le printemps, des colonnes de l’armée régulière ukrainienne, accompagnées de bataillons de représailles et de police supplétive, suivis des sinistres policiers politiques du SBU. Ils se livrèrent à d’horribles crimes de guerre. Personne, ou presque en Occident n’a voulu le croire, car au XXIe siècle cela paraissait incroyable, qu’en Europe, de telles tueries soient commises. Et pourtant ce fut la réalité du Donbass de 2014, qui se poursuit jusqu’à nos jours. Cet article est à la mémoire du jeune Nikita Kolomoïtsev, héros et martyr de l’insurrection du Donbass. Il est mort car il voulait être libre, il est mort pour défendre sa famille… Il est mort car il refusait de vivre à genoux.
Un jeune homme tranquille et gentil, parmi beaucoup d’autres de sa génération. Dans ma longue recherche sur le massacre du bourg de Kommunar, près de Gorlovka, en RPD, je me suis rendu enfin dans cette localité le 10 juillet dernier. Avec mon camarade et ami, Andreï, nous nous trouvions sur la place centrale du village, par une chaleur écrasante. A l’entrée du village, dominé par la mine N°22, se trouvait un monument aux victimes des tueries ukrainiennes dans ce lieu, durant l’été 2014. Il y avait peu de mouvements dans le village, mais c’est dans une modeste épicerie qu’une vendeuse nous indiqua la présence de la mère d’un des martyrs du massacre : Galina, la mère de Nikita Kolomoïtsev. Fébriles et également émus, nous frappâmes à sa porte, qu’elle finit par nous ouvrir, pour nous livrer son témoignage terrible, et la triste histoire de son garçon, l’aîné d’une fratrie de deux : Nikita. Le jeune garçon ressemblait à tous les jeunes de son âge dans le Donbass. Un garçon paisible et tranquille, gentil et attentionné, qui avait des rêves et des espoirs. Son père était un simple employé, sa mère Galina une infirmière travaillant dans le point médical du gros village de Kommunar. C’était une famille sans histoire, avec des origines multiples, de Russie, d’Ukraine, de la région de Jytomyr. Galina indiqua d’ailleurs : « Nous ne faisions pas attention avant aux origines, nous parlions seulement le russe, même si je pouvais comprendre et m’exprimer en ukrainien. De fait, il n’y avait pas de différences entre nous, nous vivions ensemble sans le moindre problème. Nous n’avons pas vraiment prêté attention aux événements politiques à Kiev, au Maïdan, mais très vite les événements se bousculèrent ».
L’enrôlement de Nikita dans la milice populaire. A l’arrivée du Maïdan, le premier événement qui survînt fut d’étranges faits au travail de Galina : « il y avait des activistes pro-Maïdan qui dans mon travail proposaient de partir à Kiev, pour participer aux manifestations. C’était rémunéré, et même très bien, le voyage était organisé, le salaire était de 200 dollars, une belle somme. Je refusais, mais une collègue intéressée par l’argent, après le retour de collègues, se porta volontaire simplement pour recevoir cet argent facile ». De tels témoignages ne sont pas rares, et j’en fis plusieurs dans le Donbass, notamment d’une étudiante de Donetsk, qui me raconta la vantardise de sbires partis sur les barricades du Maïdan, et qui étaient salariés à la journée… L’argent venait en grande partie de l’Ambassade US à Kiev, et John McCain en personne vînt remettre une forte somme à Oleg Tiagnybok, chef du Parti National-Socialiste d’Ukraine, durant le Maïdan. Plus tard, en février 2015, dans une vidéo restée célèbre, Victoria Nuland, elle aussi venue sur le Maïdan avec « des cookies », avoua que le Maïdan avait coûté aux États-Unis, la coquette somme de 5 milliards de dollars. C’est ainsi que s’invita pour la première fois le Maïdan dans la vie de cette famille, avant que la guerre n’éclate dans le printemps 2014. Dans l’enthousiasme général, la quasi totalité de la population vota pour le référendum de séparation d’avec l’Ukraine (11 mai 2014), mais les affres de la guerre menaçaient déjà le Donbass. Immédiatement, le jeune Nikita s’enrôla volontairement dans les milices, comme beaucoup des hommes de la région.
La poche de Kommunar : dans les braises incandescentes du début de la guerre. Comme Galina nous le raconta, les gens n’étaient pas réellement inquiets de la suite, les informations connues étaient celles des canaux télévisés de l’Ukraine ou de la Russie, et l’inquiétude réelle ne vînt qu’à l’arrivée d’une importante force ukrainienne dans le village. L’événement se situait en pleine offensive des Ukrainiens, cherchant à écraser l’insurrection du Donbass, dans ce qui a été appelé, la bataille des Frontières. Le jeune Nikita se trouvait avec quelques camarades, presque sans armes, à un poste de contrôle de la RPD. Pendant ce temps, ses parents et son jeune frère se trouvaient dans le bourg de Kommunar désormais occupé par la soldatesque ukrainienne. Galina raconte : « Nous nous sommes retrouvés sous les bombardements, et au milieu des soldats ukrainiens. Avec mon mari, nous avons pris notre voiture et nous avons cherché à fuir la zone. Nous avons été arrêté à un poste de contrôle routier, où un officier ukrainien nous a interdit de poursuivre. Il disait que c’était trop dangereux, que nous serions tirés à la fois par les Ukrainiens et par les Républicains. J’ai demandé si nous serions en sécurité dans le village, et l’officier m’indiqua que si nous pouvions partir se serait mieux, car derrière eux arrivaient d’autres « gens », qu’il fallait craindre, nous expliquant à mi-mot que si nous trouvions le moyen de partir par nous-mêmes, ce serait mieux. Finalement, les Ukrainiens organisèrent un départ en autobus, pour nous emmener à travers un corridor à l’arrière en Ukraine. Il y avait une sorte d’accord avec les Républicains. Nous partîmes avec mon mari et mon fils cadet, ce fut le dernier autobus qui quitta le village et nous arrivâmes dans la région de Kourakhovo. Cependant, pour une raison obscure, Nikita qui nous croyait toujours dans Kommunar, quitta le block-post et passa incognito dans le village, pensant nous y trouver ».
Dénoncé par un voisin et bandériste local. C’est ainsi que le jeune Nikita se jeta sans le savoir dans un piège mortel. Les Ukrainiens étaient arrivés dans le village le 16 août, mais ils se trouvaient quasiment encerclés dans la localité. Ils y restèrent ainsi jusqu’à leur fuite, le 20 septembre 2014. Nikita rejoignit les habitants du village, et tentait de se rendre utile aux gens qui étaient terrés dans les caves des immeubles. Il se passa environ 15 jours, 3 semaines, avant qu’il ne soit dénoncé par un local, ainsi que beaucoup d’autres personnes avec lui. Galina raconte : «Ce sont nos voisins qui m’ont raconté la suite. Nikita resta incognito un moment, mais les Ukrainiens cherchèrent dans la population des informateurs. Ils trouvèrent plusieurs personnes, dont je connais les noms, l’un d’eux vit toujours ici… qui firent une liste. Il fut saisi par les Ukrainiens et avec d’autres emmenés sur la place publique. Sous les yeux de la population, il fut horriblement torturé, il eut les oreilles tranchées, fut battu et ensuite emmené dans la mine N° 22. Son corps fut retrouvé enterré sur le territoire de la mine, quand le village fut libéré. Selon les légistes et le document qui fut rédigé, il fut ensuite « fusillé par des soldats des FAU, dans le village de Kommunar, entre le 10 et 15 septembre 2014 ». Il y eut beaucoup d’autres victimes, un autre jeune homme fut attaché avec un câble derrière une voiture. Il fut traîné dans le village jusqu’à que mort s’ensuive… ».
Une tuerie documentée et des corps relevés en présence de l’OSCE. Le jeune Kolomïtsev ne fut hélas par le seul à être assassiné. Jusqu’à ce jour, je ne connais pas le nombre de victimes du massacre, mais des documents furent émis, des journalistes filmèrent les corps jetés dans la mine, ou d’autres enterrés à la va-vite. Le cas terrible d’une femme enceinte de 8 mois, violée, torturée, assassinée et la tête tranchée est une autre des pauvres victimes de cette infamie. Les autorités du district de Makeevka, dont dépendait Kommunar, mais aussi un officier des forces de l’ordre de la RPD, furent les témoins de l’exhumation du corps de Nikita (23 septembre 2014), trois jours seulement après la fuite des Ukrainiens. Une commission de l’OSCE travailla également sur place, et beaucoup de journalistes vinrent sur place, selon le témoignage de Galina. Mais rien ne fut fait par les membres de l’OSCE pour retrouver les coupables, établir des rapports… et l’affaire tomba dans l’oubli, ainsi que les malheureuses victimes. C’est par un pur hasard que je rencontrais à Enakievo, en mars 2016, une survivante de Kommunar, qui me lança alors sur cette histoire. Selon tous les témoignages que j’ai pu recueillir depuis lors, trois unités identifiées se trouvaient dans le bourg : le sinistre bataillon Aïdar, le bataillon Poltava, et des éléments de la 25e brigade aéroportée. A ce jour, aucun des criminels de guerre qui ont commis ces atrocités n’ont été inquiétés par la justice… ni même les fameux corbeaux et dénonciateurs qui donnèrent les noms des pauvres victimes aux Ukrainiens. Selon une partie des témoignages, des membres de la police politique d’Ukraine, le SBU, se trouvaient eux-aussi présents dans la ville, et furent ceux qui travaillèrent au corps la population. Quant aux bourreaux… ils ne sont hélas pour l’instant pas identifiés précisément. Un des buts de cet article, est de conserver la mémoire de ces faits vivaces, pour qu’un jour ou l’autre, la poursuite et la chasse des criminels commence, et qu’ils soient traînés devant des tribunaux.
Épilogue : Galina vit toujours dans le village de Kommunar, alors que son pauvre mari est décédé en 2016. Sans doute a-t-il été brisé par la mort de son garçon. Son frère s’est enrôlé dans les troupes républicaines, il a servit dans l’année 2022-2023, sur la ligne de Kherson. Aujourd’hui, il travaille dans une ville voisine dans les services d’urgences. Galina vit résignée et dans la douleur et la mémoire d’un fils perdu, assassiné dans d’horribles circonstances et dans des souffrances incommensurables. Le jeune homme a été inhumé par sa famille, et repose aux milieux des siens dans le village de Kommunar. Le village n’est pas une exception… partout où nous nous rendons à la suite de la libération de territoires, des centaines, des milliers de témoignages de ce genre existent. Une armée de fantômes réclame justice, et un jour ou l’autre l’Ukraine devra payer et s’amender pour de tels crimes. Quant à l’Occident, tôt ou tard il sera rattrapé par l’implacable et inexorable vérité. La honte ne tuera pas ces gens, politiques et responsables, qui à leur façon, sont eux aussi responsables des massacres dans le Donbass et en Ukraine.