Tourtchynov : l’homme des bataillons de représailles dans le Donbass

Tourtchynov est aujourd’hui un illustre inconnu en Occident, il fut pourtant le président par intérim de l’Ukraine, après le coup d’État US en Ukraine, pendant un peu plus de trois mois. C’est sous sa responsabilité que commencèrent les répressions et massacres à Kharkov, en Ukraine et surtout dans le Donbass, et il fut l’homme qui ordonna la formation des bataillons de représailles en Ukraine. C’est aussi lui, qui avec Paroubiy organisèrent et avalisèrent le massacre d’Odessa (2 mai 2014), et il porta ensuite une plus lourde responsabilité, en étant sous le Président Porochenko, le secrétaire du Conseil de Sécurité et de Défense de l’Ukraine (décembre 2014-mai 2019). Tout ce qui se déroula dans le Donbass, en termes d’exactions et de crimes de guerre, fut aussi de son fait, du moins sa responsabilité fut très grande, avant qu’il ne disparaisse de l’histoire avec l’arrivée de Zelensky. Retour sur l’histoire d’un des plus grands criminels de guerre de l’Ukraine.

Un vieux routard de la politique en Ukraine. Bien que sorti de nulle part, Tourtchynov réussit à se frayer un chemin dans les méandres de l’Ukraine naissante, au milieu des mafieux, des politiciens véreux, dont il devînt certainement l’un des plus rusés, et qui jusqu’à ce jour n’a jamais été atteint par la justice. Girouette ukrainienne par excellence, il commença sa carrière au Parti Communiste, du temps de l’URSS, mais su ensuite mener sa barque pour s’atteler à des hommes puissants. Il fut notamment l’un des conseillers du Président Koutchma, avant de le trahir, pour rejoindre un groupe ayant plus d’avenir, celui des libéraux, européistes et atlantistes, notamment Ioulia Timochenko, le président de la Révolution Orange, Victor Iouchtchenko, et de glisser dans les rangs des partis du Premier ministre Iatseniouk et du Président Porochenko. Pièce maîtresse de l’Ukraine pendant des années, il fut également le chef des services de Sécurité de l’Ukraine, le SBU, devenus police politique, et même le Secrétaire du Conseil de Sécurité et de Défense de l’Ukraine, pendant les 5 premières années de guerre dans le Donbass. A ce titre, sa biographie étant sans appel, il reste l’un des pires criminels de guerre et contre l’Humanité de l’Ukraine.

Un oligarque caché, dans un clan familial servant d’écran. Plus malin que d’autres, moins ostentatoire, bien que mêlé à de sombres histoires, notamment l’élimination de la concurrence sur le marché du gaz et du pétrole, pour Ioulia Timochenko (cette dernière termina en prison, déclenchant les protestations « démocratiques » de l’Occident), il passa toujours entre les mailles du filet. Inquiété à plusieurs reprises, pour la corruption, l’attribution illégale d’appartements, le trafic d’influence, le trafic de marchés publiques, une affaire d’écoutes illégales de politiciens et journalistes, la puissance de ses réseaux, et sans doute son accès aux « dossiers sensibles », firent qu’il para tous les coups judiciaires et fut ménagé sous tous les présidents ukrainiens. Il entassa donc tranquillement une coquette fortune, qui fut gérée et mise au nom de sa belle-mère ou de son épouse, et sa véritable fortune ne fut jamais connue. Lors d’une déclaration fiscale rendue publique en 2016, il possédait la rondelette somme de 750 000 dollars en liquide… dont on peut se demander avec raison la provenance. Bien qu’ayant trompé le fisc ukrainien pendant des années, la police financière d’Ukraine ne commença pas la moindre enquête, malgré des preuves apportées sur un plateau par des journalistes d’investigation (2014 et 2017).

Un criminel qui a su se faire oublier et disparaître des radars. Bien qu’il fit encore une déclaration publique assassine à propos des populations russes (2022), il s’est fait oublier par le fait qu’il ne fut pas un homme du Président Zelensky. Démissionnant de ses fonctions à son arrivée, il n’eut alors plus aucune responsabilité, et préféra disparaître, notamment après les élections régionales qui se déroulèrent en Ukraine, en 2020. Depuis lors, c’est un peu l’inconnu, mais ses fortes responsabilités dans tout le début de la guerre, font qu’il n’est certainement pas resté en Ukraine. Sa belle-mère possédait à son nom, une petite fortune en Lituanie, où il aurait pu trouver un refuge confortable. Mais il pourrait aussi bien se trouver dans quelques paradis luxueux, ou dans l’un des pays où il aurait prudemment mis « ses avoirs » à l’abri, la Suisse ou Monaco étant très prisés de longue date, par toute sorte de « personnages » à la fortune mal acquise. La question a même intéressée les Russes : mais où se trouve « le Pasteur Sanglant » Tourtchynov ? Personne ne peut répondre à cette question, bien qu’il apparaît certain, que dans le contexte de l’opération spéciale, et d’une vengeance possible des populations de Russes ethniques, de la résistance, ou encore de ses anciens amis mafieux trahis, il n’est pas souhaité s’attarder en Ukraine. Comme Avakov ou Paroubiy, il est sur la liste des principaux responsables, les plus coupables, ceux qui devront un jour répondre devant l’histoire de ce gâchis, d’une guerre sanglante, et d’un système répressif qui n’a pas été vu en Europe depuis la Stasi, la Securitate, la Tchéka ou la Gestapo.

Pour mieux comprendre l’homme, voici comme à mon habitude une biographie complète de l’homme, avec des sources, pour ceux qui auraient plus de temps, ou voudraient en savoir plus !

Alexandre Tourtchynov (1964-), alias Le Pasteur Sanglant, originaire de Dniepropetrovsk, d’un pays entraîneur sportif, il joua à haut niveau dans l’équipe nationale de volley-ball (cadets et juniors). Il fit des études supérieures d’ingénierie en métallurgie (diplômé, 1986). Il travailla ensuite comme cadre supérieur dans sa spécialité, et fut un éminent membre des Komsomols locaux (1987-1990). Il prôna des réformes dans le Parti Communiste, et fut finalement exclu (1990). Il changea radicalement son fusil d’épaule, travaillant comme rédacteur en chef pour une agence de presse. Il fonda un Institut des relations internationales, de l’économie, de la politique et du droit (1991), et fut nommé Chef du Comité pour la privatisation des entreprises et usines dans l’Administration régionale de Dniepropetrovsk (1992). Ce tremplin, le propulsa conseiller économique du Premier ministre de l’Ukraine Leonid Koutchma (1993). Il fut bombardé chef de plusieurs institutions, avant de s’engager rapidement en politique (1994).

Il fonda l’association patriotique panukrainienne Gromada (1994), qui devînt un parti et fut élu député à la Rada d’Ukraine (1998-2002). Il se retourna contre son ancien protecteur, Leonid Koutchma, participant aux manifestations « d’une Ukraine sans Koutchma » (2000-2001). Il rallia alors la fameuse « Reine du Gaz », la « femme aux tresses », Ioulia Timochenko, ultralibérale, européiste et atlantiste patentée, dans son partie Patrie (1999). Il fut réélu à son siège (2002-2006), et fut arrêté dans le cadre d’une affaire de blanchiment d’argent (2002), qui se perdit dans les méandres de la corruption ukrainienne. Il rallia la Révolution Orange, premier Maïdan US en Ukraine (hiver 2004-2005), devenant un pion important du régime de Iouchtchenko, nommé Chef du Service de Sécurité de l’Ukraine (SBU, 2005). Il s’attaqua à un réseau mafieux, derrière une grosse affaire de corruption autour de l’industrie du pétrole et du gaz. Il mit en cause un mafieux, Semion Moguilevitch, possédant les nationalités ukrainienne, russe, hongroise et israélienne, impliqué dans ce réseau et dans le trafic d’armes et de drogues. L’affaire fit un scandale énorme, mettant en cause d’anciens gros poissons de la politique en Ukraine, dont l’ancien Premier ministre Azarov, et son protecteur, Leonid Koutchma, ancien président de l’Ukraine (2006). Le coup visait à libérer le passage pour les affaires de Timochenko, qui devint par la suite la « Reine du Gaz » en Ukraine (affaire RosUkrEnergo). Cependant, il fut lui même mis en cause dans l’utilisation illégale d’écoutes contre des journalistes et des politiques (2005). Mais l’affaire, là encore fut classée…

Il fut réélu député à son siège (2006-2007), et de nouveau (2007-2012). Il tenta d’emporter la mairie de Kiev, arrivant 2e (2008), et fut mis en cause pour des affaires de corruption, d’attribution illégale d’appartements « à des journalistes », alors qu’il dirigeait le SBU. L’affaire sombra dans les méandres judiciaires. Il fut accusé par une association luttant contre la corruption, pour des actes délictueux, trafics de marchés publics et autres (2009), accusation qui ne mena nulle part et fut étouffée. Il resta en embuscade durant le Maïdan (hiver 2013-2014), mais fut élu Président de la Rada à la réussite du coup d’État (27 février 2014). Il fut de fait le « président par intérim » de l’Ukraine, pendant la période très trouble des débuts des massacres et tueries dans le pays. Il bloqua une tentative de coup d’État des bandéristes du Pravy Sektor (mars 2014), mais déclara illégalement la dissolution du Parlement de Crimée (15 mars), pour tenter de rendre illégal le référendum. Ce fut lui qui signa bientôt l’ordre de la création des bataillons de représailles « pour la défense territoriale de l’Ukraine », peu après une rencontre… avec le Secrétaire d’État américain John Kerry. C’est lui qui lança aussi l’opération ATO, opération « antiterroriste », qui permit de déshumaniser les Russes ethniques de l’Est de l’Ukraine, quelques jours après le début de l’insurrection républicaine, à Slaviansk, Kharkov, Lougansk et Donetsk (7 avril 2014).

Il accusa bientôt la Russie d’envoyer des forces spéciales, et s’appuyant sur ses affirmations, donna le feu vert pour les répressions sanglantes à Kharkov et dans le Donbass. Son rôle dans les premiers massacres, notamment celui d’Odessa (2 mai 2014), fut important et l’opération menée par Paroubiy le fut avec son accord. Pour son action sanglante, il fut plus tard décoré d’un pistolet d’honneur par le Ministère de l’Intérieur (31 octobre). Après l’élection présidentielle, il transféra ses pouvoirs à Porochenko (7 juin 2014). Il abandonna le parti de Timochenko (août), pour rejoindre le Parti Front Populaire du Premier ministre Iatseniouk. Il fut nommé secrétaire du Conseil National de Sécurité et de Défense de l’Ukraine (16 décembre 2014-17 mai 2019), et reste en responsabilité d’horribles tortures, crimes, assassinats et répressions qui furent commis en Ukraine et dans le Donbass, pendant tout son mandat. Dans le processus de purges politiques dans l’appareil judiciaire ukrainien, il proposa d’interdire la sortie du territoire des fonctionnaires, et fut accusé par la presse de la « violation de la loi de présomption d’innocence », il dut faire marche arrière.

Il s’enrichit rapidement, et sa déclaration publique de revenus était éloquente en 2016, dont près d’1,5 million de dollars, dont la moitié, fait étrange… en liquide (en plus d’UAH et d’euros). Deux ans auparavant, des journalistes d’investigation avaient démontré que la fortune de Tourtchynov était camouflée en partie dans les biens de sa belle-mère, Tamara Beliba, propriétaire en Lituanie de la société Ekonomikos Institutas, société d’investissements pesant alors 200 millions de dollars, d’autres entreprises, des biens immobiliers à l’étranger et en Ukraine. Une autre enquête menée en 2017, démontra qu’il était propriétaire de trois groupes de finances (Absolut Finance, Magnate, et Octave Finance), pesant au bas mot, 1 200 points de change et 3 500 bureaux de change en Ukraine, entreprises agissant en contournant la loi et le fisc ukrainien (2017). D’autres enquêtes montrèrent qu’il était impliqué dans une dizaine d’autres entreprises, dans les finances, la pharmacie, la presse, la production cinématographique et l’immobilier. Sa véritable fortune ne fut jamais établie, et jamais il ne put être mis en accusation par un tribunal.

Après la défaite de Porochenko à la présidentielle de 2019, il démissionna de son poste (17 mai 2019). Il resta l’un des hommes de l’ancien président, dont il avait rejoint le parti, Solidarité Européenne, et dirigea son siège de campagne pendant les élections régionales (2020). Homme ayant trempé les mains dans le sang du Donbass, devenu en partie infréquentable, il fut par la suite écarté du paysage politique sous Zelensky. Sa fortune mal acquise, lui permettrait de toute façon d’envisager un avenir dans le luxe et radieux. Il est connu en Russie comme en responsabilité « du génocide des Russes en Ukraine ». Il se fit remarquer en prononçant un discours public qui fut diffusé (fin février 2022), appelant à la destruction de la Russie et des Russes, partout où ils se trouveraient. Cet appel au meurtre des populations russes dans leur ensemble choqua la Russie. Cet homme, avec Avakov et Paroubiy, seraient parmi les plus gros poissons d’un futur tribunal de Nurembert 2.0, qui espérons-le, se déroulera un jour, alors que la vérité sur l’Ukraine fera tôt ou tard son chemin.

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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