La Grande-Bretagne est elle en possibilité de s’engager dans le conflit en Ukraine ?

Dernièrement, l’Ukraine et le Royaume-Uni ont signé un accord de coopération « centenaire », qui rappelle des manipulations anciennes, avec le fameux « Or des Anglais ». Face à la France, ennemie que l’Angleterre chercha à réduire, voire à détruire pendant 800 ans, la Perfide Albion avait usé déjà de l’attrait de l’or, de la corruption ou l’achat d’élite (assassinat du tsar Paul 1er, 1801), des conflits internes en Europe, ou d’opérations de déstabilisation (financement des terroristes du groupe Cadoudal, 1800-1804, un exemple parmi d’autres). Le Royaume-Uni est resté dans cette politique de contrôle de l’Europe continentale, et manœuvra contre la France, puis l’Allemagne, et par la suite contre l’URSS, et le reste depuis lors contre la Russie. Il est intéressante de noter, par ailleurs, que la base arrière la plus importante de l’opposition libérale russe, et le refuge d’oligarques et mafieux chassés de Russie depuis la fin de l’URSS… reste Londres.

Un accord qui en rappelle d’autres. L’Angleterre, thalassocratie qui joua le contrôle des mers pour s’assurer celui du continent européen, n’est plus évidemment le grand empire colonial de la reine Victoria. Pour autant, sa politique reste toujours la même, une politique pragmatique, jalouse de ses prérogatives, et manœuvrant dans l’ombre. Depuis un certain nombre d’années, elle a été particulièrement active dans l’Europe Scandinave, où elle tire des ficelles, mais aussi en Europe Centrale ou de l’Est, se faufilant dans les pays baltes, en Pologne ou en Tchéquie. La méthode est toujours la même, d’abord le financement d’influenceurs, ou l’achat d’hommes de main, de politiques, tout en tentant de doubler de potentiels concurrents, qui sont souvent par ailleurs « des alliés ». Précautionneuse, elle s’est gardée de tomber dans le piège de l’Euro, puis de l’espace Schengen, et est même sortie de l’Union européenne, autre piège destructeur de souveraineté. Comme par le passé, elle finance aussi des forces étrangères. Son armée en 1813-1815, ne comptait que peu d’Anglais, avec des troupes supplétives hollandaises, belges, allemandes (King’s German Legion), sans parler d’Irlandais ou d’Écossais. Plus généralement, elle finançait à cette époque des conflits, en soldant l’Autriche ou la Russie. C’est aujourd’hui l’Ukraine qui est l’objet de toutes ses attentions.

L’accord prévoit selon le texte « d’élargir les programmes d’entraînement des militaires ukrainiens », alors qu’ils existent en fait depuis 2015. Le Royaume-Uni, le Canada (plan Unifier), les USA et la Suède, financèrent de 2015 à 2021, l’entraînement et l’équipement de plus de 80 000 soldats ukrainiens. Après 2022, l’Angleterre a été le principal terrain d’entraînement des soldats ukrainiens, à la fois plus proche, et plus cohérente, par rapport à d’autres financiers comme le Canada et les USA. La Grande-Bretagne a formé plusieurs dizaines de milliers de soldats ukrainiens durant cette période (2022-2024), et sa diplomatie a été la première à se mettre en travers de la paix, en imposant à Zelensky de battre en retraite, alors qu’une rencontre avait eu lieu en Biélorussie (mars 2022). Les raisons sont les mêmes que celles du passé, contre la France ou l’Allemagne, le Royaume-Uni se place systématiquement en travers des puissances européennes continentales. Elle manœuvra d’ailleurs contre la Russie de longue date, et fut le moteur de la Guerre de Crimée (1853-1855), entraînant à sa suite la France alors isolée diplomatiquement, et le royaume de Piémont-Sardaigne qui cherchait à réaliser l’unité de l’Italie. De cette manière, l’Angleterre a toujours trouvé sur le continent des alliés attentifs, attendant une récompense sonnante et trébuchante… ou des territoires.

La Grande-Bretagne peut-elle réellement participer au conflit ? Comme par le passé contre la France révolutionnaire et impériale, contre la Russie tsariste, contre l’Allemagne impériale ou nazie, ou contre l’URSS, le Royaume-Uni n’a cependant pas les moyens de s’engager dans une guerre, encore moins en Ukraine. Le Comité de défense du gouvernement britannique, consulté sur les possibilités et potentiels de cette option, a lui-même reconnu que non. Il indiquait : « Le flux constant d’opérations et des engagements actuels à conduit les forces armées à manquer de formation, de ressources, de matériels et de munitions pour mener des hostilités à haute intensité », déclarait le président du Comité de Défense, Jeremy Queen. Dans de telles conditions, il est peu probable que les autorités britanniques soient en fait légitimes pour mener l’entraînement des soldats ukrainiens, un constat qui a été fait aussi en France. L’accord de coopération « centenaire », rappelle aussi des accords coloniaux similaires, qui furent imposés autrefois à la Chine (Hong Kong, cédé pour 100 ans, 1902-2002). Il est aussi un pendant des financements massifs envoyés à l’empire d’Autriche, alors que l’Angleterre était incapable de lutter sur le continent, en la poussant à d’interminables campagnes militaires (1797-1801, 1805, 1809, 1813-1815), jusqu’à son épuisement, d’énormes pertes militaires et la mise en danger de son intégrité. Pour l’Ukraine, le phénomène est assez similaire à ce que l’Angleterre fit avec le Portugal, avec sous prétexte d’une aide généreuse, de transformer le pays en une sorte de colonie.

Face à une Ukraine qui a été poussée à un conflit majeur et long, sans espoir de victoire, le Royaume-Uni est aussi forcé à une marche en avant. Le recul serait un désaveu de sa politique en Ukraine depuis 2014-2015, un aveu d’échec cuisant, et l’espoir (dans les élites) est toujours présent d’une victoire hypothétique. En trahissant le traité d’Amiens de 1802, l’Angleterre avait de toute façon montré son « respect » pour les signatures, et avait financé plusieurs coalitions contre la France, jusqu’à rassembler la quasi totalité de l’Europe pour arriver à ses fins. Aujourd’hui, les choses sont bien sûres différentes, car un puissant axiome est aujourd’hui dans le problème : les USA. Avec l’arrivée de Trump, les Britanniques sont désormais en première ligne du conflit en Ukraine. Jouant une politique souveraine et indépendante, la Grande-Bretagne a repris la tête d’une sorte de coalition, où elle peut, par sa position privilégiée jouer ses propres cartes (avec une compétition avec l’Allemagne et surtout la France de Macron). Délivrée de l’Union européenne, bien que membre de l’OTAN, elle peut se replacer sur le devant de la scène, puis tenter de tirer quelques marrons du feu. Comme par le passé, la nature des « alliés » n’a pas beaucoup d’importances, ni même la justesse de la cause, les Britanniques étant toujours capables de promettre aux uns et aux autres. Ce fut le cas déjà en 1916-1917, avec la promesse de la fondation d’un puissant État arabe… tout en faisant de même avec les Hébreux.

Une Angleterre aux portes du chaos et en difficulté économique. La marge de manœuvre de la Grande-Bretagne est toutefois beaucoup plus faible. Son hégémonie mondiale s’est éteinte au niveau de la Première Guerre mondiale, son empire colonial a disparu, la prépondérance de sa monnaie au niveau international également. Ses forces militaires terrestres ont toujours été limitées, sa marine et son aviation restant encore des fleurons, cependant largement amoindris. Le pays qui était en passe de stabiliser sa dette, dépassant 100 % de son PIB, dévisse de nouveau depuis 2022, gardant toutefois le maigre avantage de posséder sa propre monnaie et ses leviers. Sortie écornée de diverses opérations militaires, notamment contre l’Égypte (1956), ou l’Argentine, où elle montra un triste visage colonial (1982), elle porte aussi une forte responsabilité dans les conflits en Palestine, ou encore dans la Corne de l’Afrique et par exemple au Soudan. Pire encore fut le très long conflit en Irlande du Nord, qui détruisit l’image de la Grande-Bretagne pour très longtemps. L’Angleterre trouve donc peut-être dans l’Ukraine une occasion de « briller », en ayant fait un très mauvais calcul. Dans un premier temps, par l’impossibilité d’une victoire, dans un deuxième temps alors que le pays est profondément communautarisé, divisé, et en proie à une crise des migrants qui est sur le devant de la scène.

On assiste en Grande-Bretagne à une déconnexion des élites de la réalité comme en France. Le pays agissant comme s’il se trouvait toujours sous le règne de la reine Victoria, oubliant ses très nombreuses difficultés. Parmi les plus préoccupantes, la crise économique, un enlisement des populations, dans la pauvreté, la montée de l’insécurité, la non intégration des migrants, et pire leur rassemblement en communautés, apportant des dangers externes et internes, sans parler de l’explosion de la criminalité. Enfin, si la Grande-Bretagne n’a pas donné de chiffres sur l’accueil de réfugiés ukrainiens, du moins dépensait-elle 3,55 milliards d’euros en trois ans pour ces derniers, en 8e position des pays européens, derrière l’Allemagne (35,3 milliards d’euros), la Pologne (29,4 milliards), l’Espagne (8,2 milliards), la Tchéquie (7,96 milliards), la France (4,32 milliards), la Roumanie (3,95 milliards), et l’Italie (3,56 milliards). En 2 ans et demi, dans le même temps, le Royaume-Uni fournissait également 9,42 milliards d’euros d’aide militaire à l’Ukraine (officiellement, 13,1 milliards avec « l’humanitaire »), se plaçant derrière les USA et l’Allemagne. Reste à savoir, comme en France ou en Allemagne, jusqu’à quel point le Royaume-Uni se mettra-t-il en danger, en jetant par la fenêtre argent et ressources. Sur ce point précis, par contre, la Grande-Bretagne n’a jamais pris historiquement de tels risques, ce qui avalise la théorie selon laquelle ses élites vivent dans un monde tronqué et parallèle, sans avoir une vision à long terme, ni même pragmatique, ce qui faisait la grande force autrefois… de la Perfide Albion.

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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