Dokoutchaev : un centre pour les réfugiés du front

Les réfugiés qui sont évoqués dans la presse internationale sont souvent ceux pris en charge du côté du front ukrainien, ou des plus de 6 millions réfugiés en Europe. Côté russe, il y a également des millions de réfugiés, selon les chiffres connus, plus de 3,5 millions après le début de la guerre en 2014, et au moins 1,7 million depuis le départ de l’opération spéciale russe. Pour plusieurs raisons, et selon les circonstances, les réfugiés se retrouvent à devoir fuir la ligne de front, d’un côté ou de l’autre des armes. Dans le Donbass, il existe un grand nombre de centres, dans les grandes et petites villes de la RPD ou de la RPL, et évidemment dans toute l’étendue de la Russie. Ces gens arrivent souvent complètement démunis, ayant perdu leur maison, leur appartement, l’ensemble de leurs biens, et parfois même leurs papiers.

Des milliers de civils déracinés. La petite ville de Dokoutchaev, au Sud de Donetsk accueille l’un de ces centres. Selon l’une des personnes travaillant dans l’endroit « le centre a accueilli des centaines de personnes », hommes, femmes et vieillards, des familles avec enfants. Ils sont la plupart du temps évacués par l’armée russe, puis confiés aux services d’urgence, qui par la suite les dispatchent et les placent dans divers centres d’attente et de tri. La problématique est justement que beaucoup n’ont aucun moyen de prouver leur identité, ne possédaient d’ailleurs que des passeports ukrainiens. Un employé témoigne : « c’est plus facile quand ils arrivent à plusieurs de la même localité. Alors les gens peuvent témoigner de l’identité de leurs voisins, donner les informations essentielles. Les gens sont d’abord conduits dans des centres médicaux, ils passent des examens complets, et les services sanitaires s’occupent de répondre à leurs besoins, par exemple en médicaments et si certains sont atteints de pathologies. Nous aidons à procéder à leur demande pour un passeport russe, ce qui peut prendre selon les cas de 15 jours à 1 mois et demi. Les services de sécurité vérifient les profils, les identités sont établies et ils reçoivent des documents russes. Ils sont libres ensuite de poursuivre leur route. Certains, les plus nombreux partent en Russie, ils ont parfois, souvent de la famille. Les autres attendent pour pouvoir rentrer chez eux, et avec des documents russes, ils perçoivent selon les cas les aides sociales. Les enfants sont scolarisés, les plus anciens reçoivent une pension de retraite, même s’ils n’ont pas cotisé en Russie ».

Un centre qui fonctionne grâce à la solidarité et à des organisations internationales. Le centre accueille actuellement 14 personnes. Leur logis est assuré, et l’ancienne crèche a été aménagée en foyer, avec des salles de bain, une cuisine, des dortoirs. Le confort maximal est assuré, les gens peuvent regarder la télé, vaquer à leurs occupations. Des soldats participent parfois à aider ces gens, mais aussi le Haut-Commissariat aux réfugiés, ou encore la Croix-Rouge de Donetsk, des associations locales, voire même des particuliers. Certaines fois, ce sont des entreprises, notamment de l’agroalimentaire qui fournissent des produits, les gens recevant aussi des colis avec le nécessaire pour l’hygiène et de première nécessité. Dans les cas extrêmes, notamment lors du siège de Marioupol, j’ai personnellement visité un grand centre de réfugiés à Bezymenoe, des autobus attendaient les réfugiés, pour les uns, pour les ramener en Ukraine, pour les autres, selon leur choix, les conduire en Russie. Plus loin, dans l’été 2022, la mairie de Gorlovka avait organisé un tel centre, pouvant accueillir plusieurs centaines de personnes. Les plus petites villes, comme Dokoutchaev ne sont pas en reste, la localité comprenait environ 20 000 habitants en 2014, réduite aujourd’hui à un peu plus de 10 000, car elle se trouva longtemps sur la première ligne du front. De fait, avec son éloignement des zones de combat, Dokoutchaev a donc ouvert ce petit centre, qui continuera sa mission tant que cela sera nécessaire.

Un défi énorme, celui des réfugiés. La dernière fois que l’Europe a connu un tel déplacement de populations, il faudrait retourner à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. En comprenant tous les réfugiés des deux côtés des belligérants, et depuis 2014, c’est donc un minimum de 11 à 14 millions de réfugiés qui ont dû être secourus. Ses populations fragiles, notamment en ce qui concernent les enfants ou les personnes âgées, ont fait l’objet des deux côtés d’une grande solidarité, que l’on parle par ailleurs du côté ukrainien, ou du côté russe. Malgré les complications politiques et liées au conflit, l’aide aux réfugiés se trouvait plus simple à l’époque des accords de Minsk II (février 2015-février 2022). Depuis lors, l’immense front qui existe en Ukraine et dans le Donbass a demandé des efforts accrus et des moyens importants. Les organisations locales ou internationales, doivent aussi faire face à « l’après front ». Il faut en effet souvent réparer un toit, sécuriser des habitations, reloger, indemniser et relancer une activité économique. Côté russe, des zones entières ont fait l’objet de grands chantiers, notamment et surtout dans les régions de Marioupol ou de Lougansk. Côté ukrainien, les autorités ont procédé à l’évacuation de villages entiers, en particulier dans la région de Soumy, ou l’été dernier des habitants de la ville de Krasnoarmeïsk/Pokrovsk. Les moyens de part et d’autre qui ont été nécessaires sont colossaux, et de l’avis par exemple des gens travaillant dans le petit centre de Dokoutchaev : « franchement, nous ne savons pas exactement combien de gens sont passés dans notre centre, il y en a eut tellement ! ». Dans l’anonymat, il faut prendre conscience que des milliers de personnes travaillent d’arrache-pied, parfois dans des conditions très difficiles, pour venir au secours et à l’aide de ces réfugiés. Ils sont malgré tout, un peu les oubliés de cette histoire. Tirons-leur notre chapeau !

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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