Le bataillon Krivonos est une unité fondée du côté russe, à la fin de l’année 2023, avec des soldats ukrainiens fait prisonniers, ou des Russes ethniques d’Ukraine, qui ont décidés de combattre du côté des Russes « contre le régime de Zelensky » et « Pour une Ukraine libre ». Dans la foulée de l’insurrection républicaine du Donbass, de nombreuses hommes qui furent autrefois des « Ukrainiens » par le passeport, avaient décidé de combattre dès 2014, ce qui avait été appelé « la Junte de Kiev ». Ces hommes ne sont toutefois pas du Donbass, ils viennent de Kharkov, de Kiev, de Vinnitsya et même de l’Ouest de l’Ukraine, pourtant considérée comme très hostile à la Russie. Leur combat, selon leurs propres mots, ce n’est pas de combattre « Pour la Russie », mais aux côtés des Russes pour libérer leur pays d’une oppression qui n’a que trop longtemps durée.
De l’origine de la dénomination Maxime Krivonos. Maxime Krivonos est un inconnu en Occident, c’est un personnage historique qui combattit durant le XVIIe siècle, aux côté de l’Hetman des Cosaques, Bogdan Khmelnitsky. Il n’y a pas d”origines sûres à propos de Krivonos, l’homme semblant toutefois être originaire de la région de Tcherkassy, selon les traditions orales. A cette époque, l’Ukraine était le théâtre de nombreux conflits, entre la puissante Pologne, l’empire Ottoman et leurs alliés, et la Russie ressuscitée entre les mains des premiers souverains Romanov, suite aux temps sombres. Les Cosaques et les paysans ukrainiens, sous le joug polonais, ottoman et tatar se trouvaient aux confins des terres russes, et sur la fracture du Dniepr, une région qui comme le Rhin pour la France, connue de nombreuses guerres. Les révoltes des paysans contre leurs maîtres polonais étaient endémiques, sous fond d’une guerre de religion, entre le monde orthodoxe, catholique et musulman. Avec l’apparition de Bogdan Khmelnitsky commença une longue guerre, pour la survie des Cosaques, et déjà pour la liberté de vivre selon leurs traditions et dans le monde slave et russe. Les Cosaques en appelèrent à la Russie, qui n’intervint finalement que tardivement, alors qu’une alliance éternelle fut signée par les fiers cavaliers cosaques avec le Tsar de toutes les Russies. Selon diverses traditions, l’homme aurait été tué ou serait mort de maladie durant le siège de Zamosc, une ville aujourd’hui dans la voïvodie de Lublin, en Pologne.
Le témoignage de « Jack », l’un des insurgés de… Kharkov. Lors de ma visite, je fis rapidement la connaissance d’un officier du bataillon Krivonos, avec le surnom de guerre de « Jack », et originaire de Kharkov. D’une trentaine d’années, le soldat était en 2014, un étudiant dans une école militaire supérieure de la deuxième ville d’Ukraine. D’une famille d’officiers, il avait regardé d’un mauvais œil les remous du Maïdan, comme la grande majorité de la population de Kharkov. Fait méconnu, la première insurrection armée ne commença pas en 2014, dans le Donbass, mais à Kharkov, par la prise de l’administration régionale de la région par les premiers républicains insurgés. Ils fondèrent au tout début d’avril 2014, une éphémère République Populaire de Kharkov. Il raconte : « j’étais très jeune, mais dans ma famille nous avions compris ce qui nous attendait à la suite du Maïdan. J’ai été l’un des insurgés qui s’emparèrent de l’administration régionale de Kharkov. Nous avions l’espoir d’obtenir la fédéralisation de l’Ukraine, afin de pouvoir décider chez nous des questions essentielles, comme la conservation de la langue russe, de nos traditions et de notre histoire. Nous n’avons pas pu résister aux forces envoyées par Kiev, ils sont arrivés en train de la place du Maïdan, des sbires qui avaient fait le coup d’État, des hommes en noir, mais aussi des forces de police et des forces spéciales. Sur place en effet, les policiers étaient avec nous, c’est la raison pour laquelle ils ont envoyé des fonctionnaires venus de l’Ouest de l’Ukraine, pour nous mâter. Nous n’avions pas d’armes, il y avait aussi Biletski et ses nervis du futur bataillon Azov. Nous avons dû fuir, c’était cela ou la mort. Je me suis enrôlé ensuite dans une unité de la RPL (Lougansk), j’ai combattu longtemps dans les rangs du bataillon Prizrak, puis dans une autre unité, mais en RPD (Donetsk). Maintenant je suis dans les rangs de Krivonos et je m’occupe de rassembler mes compatriotes pour entrer dans l’unité, nous combattons pour notre terre, pour nos justes droits ».
Le témoignage d’Ivan et Alexeï. Après une démonstration des savoirs militaires de l’unité, la présentation de leurs différentes sections, notamment de motocyclistes, d’opérateurs de drones, de robots, de tireurs d’élite, d’évacuation sanitaire ou de groupes d’assaut, j’eus aussi la grande chance de parler avec une trentaine de soldats du bataillon. Ils me racontèrent longuement leur histoire et leur aspiration, notamment à propos de l’Ukraine, commençons par Ivan : « Je suis de Kiev, j’ai une vingtaine d’années, et je n’avais pas d’intérêt pour la politique en général. Au moment des élections présidentielles de 2019, je me trouvais en Pologne, je n’ai pas voté, je travaillais dans le bâtiment pour gagner de l’argent, mais j’ai compris que nous étions exploité, ce ne fut pas une bonne expérience. Pour Zelensky, je n’avais pas d’illusion, je n’ai pas cru à ses promesses, je n’ai jamais pensé qu’il changerait quelque chose à la situation catastrophique de notre pays. Je suis rentré en Ukraine, et alors est arrivée l’opération spéciale russe. Je n’ai pas voulu m’enrôler, autour de moi de toute façon, personne n’avait envie de le faire. J’ai finalement été mobilisé dans la fin de l’année 2023. J’ai répondu à l’appel et j’ai été envoyé dans une unité mécanisée sur le front. Ma guerre n’a pas duré très longtemps, j’ai été fait prisonnier dans la bataille de la forêt de Kremeniya l’an dernier. J’ai bien cru que ma dernière heure était arrivée, j’avais peur, nous avions tellement entendu de choses sur l’armée russe. Finalement, j’ai été bien traité et ensuite j’ai rejoint le bataillon Krivonos. Je ne peux pas parler de ma famille, mais j’ai une compagne et une petite fille, et franchement, je ne veux pas les élever dans cette Ukraine de Zelensky, je suis ici pour qu’on le chasse et que nous reprenions notre cheminement, dans l’honnêteté, la tranquillité et débarrassés de ces bandits. Pour la question territoriale, ce n’est pas à moi de décider, je sais seulement que nous devons changer les choses ».
Nous ne sommes pas des traîtres, nous combattons pour une Ukraine libre. La conversation, longue, ponctuée d’anecdotes et de plaisanteries se poursuit avec Alexeï, dont le discours ne se tarit pas, on sent la franchise et l’envie d’expliquer : « Je viens de Zaporojie, et je tiens à dire que nous ne sommes pas des traîtres, nous combattons pour une cause juste, qui est celle de l’Ukraine, dans un monde où nous serions de nouveau des frères avec les Russes et les Biélorusses. Nous avons des différences, mais nous sommes un seul peuple en réalité. Pour moi c’est un peu la même chose que pour Ivan. J’étais jeune au moment du Maïdan, j’ai su pour les événements, notamment d’Odessa, j’ai compris que nous allions dans un mur. J’ai suivi ma petite vie tranquille dans l’Ukraine, je me trouvais dans le pays au moment de l’élection présidentielle de 2019. Moi aussi je n’ai pas voté pour lui, ni pour personne en fait, j’ai toujours pensé que cela ne servait à rien, et je ne voyais personne digne de mon suffrage. Pour ma part, j’ai été mobilisé dans le printemps 2022, et j’ai été envoyé sur le front. Au bout de six mois, j’avais compris… Dans l’ambiance de mort du front et de la guerre, je me disais que je ne voulais pas mourir pour ces gens, encore moins pour Zelensky. On nous vendait du patriotisme et tout le toutim, mais moi et mes camarades nous étions écœurés et presque résignés. Mourir pour quoi ? Qu’est-ce que ce pays m’avait donné ? Qu’est-ce que Zelensky avait fait pour nous ? Alors, lorsque j’ai été fait prisonnier, dans la région de Kharkov, je n’ai pas hésité à venir dans le bataillon Krivonos. Nous combattons pour la République d’Ukraine, un pays qui sera libre, où nous serons les maîtres chez nous, et quant aux fanatiques bandéristes que vous évoquez, aucune personne normale en Ukraine ne peut raisonnablement penser qu’ils ont raison, qu’ils sont la solution… Enfin voilà, je suis ici pour qu’on en finisse avec ce bordel ».