L’histoire n’aura finalement retenu que l’Allemagne nazie dans les pillages d’œuvres d’art et de trésors archéologiques, notamment dernièrement par la puissante action des films hollywoodiens. On se souvient des aventures d’Indiana Jones, « un gentil pilleur de tombes », face à de féroces nazis ou terribles soviétiques, parcourant le monde pour mettre à l’abri quelques-uns de ces trésors. Pourtant, ce sont bien le Royaume-Uni ou la France, puis plus tard les USA, qui ont été les plus terribles pillards des artefacts historiques.
Des origines et du Siècle des Lumières. C’est au cours du XVIIIe siècle, que l’intérêt pour les choses anciennes et les civilisations de l’Antiquité est apparu, dans la foulée des philosophes et des penseurs du Siècle des Lumières. L’Encyclopédie de Diderot fut l’un des premiers signaux de cet intérêt et de la fascination des Européens pour ces nouvelles sciences naissantes : archéologie, paléontologie, biologie et bien d’autres parallèles et dérivées de ces dernières. L’expédition d’Égypte de Bonaparte (1798-1801), fut au moins aussi célèbre pour la campagne militaire, que par l’expédition scientifique qui l’accompagna. Quelques années auparavant, la France révolutionnaire avait fondé le Musée du Louvre (10 août 1793), devenu très vite un aspirateur des trésors archéologiques du monde. De son côté l’Angleterre avait été plus précoce, avec la fondation du British Museum, dès 1753. Dans le combat entre les deux grandes puissances du moment, la France et l’Angleterre, les deux pays se lancèrent ensuite dans un pillage à grande échelle de tous les continents. Les pillages s’accélérèrent avec la fondation des empires coloniaux français et britanniques, avec pour cible l’Iran, l’Irak, la Grèce, l’Égypte, le Proche-Orient, la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine, l’Afrique dans son ensemble et bien au-delà. L’une des affaires les plus célèbres, fut par exemple le pillage des œuvres d’art à Angkor (1923), par un certain André Malraux, condamné en 1924, puis plus tard célèbre romancier, écrivain, résistant et longuement Ministre des Affaires culturelles (1959-1969).
Le Louvre et le Bristish Museum, des centaines de milliers d’objets volés. Pour le seul Musée du Louvre, la partie égyptienne comprend actuellement 66 300 antiquités égyptiennes, 137 628 antiquités orientales, 68 362 antiquités grecques, étrusques et romaines, 15 311 antiquités de l’Islam, et un total de plus de 550 000 œuvres d’arts. Parmi les plus célèbres, la Vénus de Milo (emportée au Louvre en 1820), ou encore le Code d’Hammourabi, artefact babylonien (emporté en 1901), parmi des dizaines de milliers d’autres. Le British Museum n’a bien sûr rien à envier à son homologue français, avec des collections égyptiennes, du Soudan, du Moyen-Orient, de l’Asie, des antiquités grecques et romaines, mais aussi d’Afrique, d’Océanie et des Amériques. C’est dans ce musée que se trouve par exemple la fameuse Pierre de Rosette, découverte par les Français durant la campagne d’Égypte, puis confisquée par les Anglais et transportée à Londres. Les collections du monde gréco-latin comprennent à elles seules plus de 100 000 artefacts, avec carrément des morceaux de temples grecs qui ont été pillés et démantelés, puis emportés dans le Bristish Museum. C’est le cas du Temple d’Héphaïstos, Des Propylées d’Athènes, de l’Erechthéion également d’Athènes, du Temple d’Athéna Nikè, du sanctuaire d’Apollon à Delphes, du Mausolée d’Halicarnasse, du Temple d’Artémis à Éphèse, ou encore du célèbre Parthenon, la liste est sans fin. Pour le Proche-Orient, même constat, plus de 330 000 objets et artefacts pillés, 75 000 pour l’Asie, et des milliers pour les autres régions du monde.
Parthenon, l’obstination britannique. Après l’écroulement des empires coloniaux, la situation ne fut pas meilleure, avec la continuation de pillages parfois scandaleux. Il fallut attendre très longuement, pour que certains pays où les œuvres d’art avaient été pillés commencent à relever la tête. La Grèce tenta cependant rapidement de contester les marbres du Parthénon. Volés dans le pays en 1801, elle avait fait une première demande de restitution restée sans réponse, peu de temps après l’indépendance (1836). Ne renonçant pas, la Grande-Bretagne avait alors accepté d’envoyer… des copies, des moulages (1846). Ce fut ensuite au tour de la ville d’Athènes de réclamer le retour des artefacts, là aussi refusé (1890). Lors d’une visite à Londres, le Premier ministre grec avait de nouveau insisté sur cette restitution, là encore en vain (1927). Après de nombreuses années, la Grèce avait de nouveau tenté de récupérer son bien (1983). Elle avait sollicité l’aide de l’UNESCO, mais le Royaume-Uni avait refusé la médiation de cette institution internationale (1984). De guerre lasse, la Grèce s’était tournée vers la Commission européenne, institution qui a également émis une fin de non recevoir (novembre 2017). La Grèce n’avait pas capitulé, faisant encore pression sur l’UNESCO (2013), qui dernièrement a appelé le Royaume-Uni : « à résoudre le problème au niveau intergouvernemental » (2021). Ouvrant de timides négociations, la Ministre de la Culture britannique lâcha finalement « qu’il s’agissait d’une route dangereuse et glissante à emprunter », arguant du fait que l’acceptation de cette demande pourrait créer un précédent… et des milliers de demandes de nombreux pays pour réclamer leurs biens… (2022). Un sondage publié à cette époque, montrait que 59 % des Britanniques étaient en faveur de la restitution à la Grèce… seul problème, ayant imaginé que le temps viendrait où la Grande Bretagne devrait affronter ces problématiques, le Parlement avait voté une loi « interdisant au British Museum de disposer de ses collections » (1963). Le bien mal acquis restera donc à Londres.
Bronzes du Bénin. L’Afrique fut sans doute le continent le plus pillé par les Occidentaux, le cas de l’Égypte restant emblématique, mais dernièrement l’affaire des Bronzes du Bénin a fait sensation. Un pays européen, l’Allemagne, décida de rendre 23 artefacts au Nigeria (2021-2022), déclenchant des pressions sur le Royaume-Uni possédant de nombreux bronzes des trésors du Bénin. Là encore Londres s’est enfermé dans une morgue hautaine, avec le refus catégorique de restituer quoi que ce soit au Nigeria. Pour l’instant, l’autre grande pilleuse, la France reste relativement épargnée par des demandes de restitution. Cependant, elle a accepté le retour d’œuvres d’art du trésor royal d’Abomey, restituées au Bénin (2020-2021). Le Louvre n’est d’ailleurs qu’un des nombreux musées recelant des trésors archéologiques volés. Le Musée de l’Homme est un exemple (fondé en 1937), avec le Musée du Quai Branly Jacques-Chirac (2006), autrefois Musée des Arts et Civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Ce dernier musée possède plus de 46 000 objets africains (plus de 304 000 pour tous les continents), et un ordre a été donné de mener des enquêtes pour chacun d’entre eux, afin de déterminer comment ils furent acquis par la France (2019). Cependant, ces apparences de bonne volonté ne sont que mirage, car de telles enquêtes dureront pendant des années, ne serait ce que par le nombre impressionnant d’objets, et la triste réalité serait l’entière restitution de tout ce patrimoine qui ne peut appartenir à la France.
De manière générale, si la France et le Royaume-Uni furent les plus grandes coupables, notons que d’autres pays européens ou occidentaux ne furent pas en reste, dont l’Allemagne, ou encore les États-Unis. Pour ce dernier pays, le Metropolitan Museum de New York (fondé en 1870), concentre lui aussi une belle quantité d’œuvres pillées, pas moins de 36 000 pour la seule Égypte. Le musée a toutefois accepté de restituer des artefacts volés par le célèbre pilleur de tombes Howard Carter (2010), qui fut le découvreur… du tombeau de Toutânkhamon (1923). La restitution totale de tout ce qui a été empilé dans ces trois musées en finirait bien sûr avec leur réputation, diviserait de beaucoup l’affluence des visiteurs… car les salles les plus populaires sont souvent justement celles des civilisations antiques, où se trouvent ces objets déracinés et emportés pour la plupart par la force, la duplicité ou l’ignorance des locaux.