Arménie-Russie : une prise de conscience bien tardive d’une longue amitié

Les relations entre l’Arménie et la Russie sont l’histoire de nombreux siècles, et de profondes attaches, qui se sont solidifiés dans les combats avec des ennemis communs. Beaucoup de Russes sont tombés pour venir tendre la main à l’Arménie martyrisée, tandis que beaucoup d’Arméniens ont aussi donné leur vie dans la Grande Guerre patriotique, du temps de l’URSS. Pourtant, récemment, une poussée européiste sévit en Arménie, créée et sollicitée par de mauvais conseillers, et des vents sinistres venant de l’Ouest. Le gouvernement arménien semblait lui aussi rêver de drapeau européen, des valeurs « communes européennes », d’investisseurs généreux et aimables… en oubliant ce qui s’était passé dans de telles circonstances en Géorgie ou en Ukraine.

Dans le passé, les partenariats entre les deux pays, depuis la fin de l’Union soviétique étaient restés majeurs. Dans le domaine de la défense, l’Arménie importait près de 97 % de ses matériels, équipements et technologies de Russie. Toutefois, après l’humiliation de la reddition dans le Haut-Karabagh d’Erevan, l’idée « d’un nouveau système de sécurité » est apparue. Dans ce dernier, la Russie était évincée, et le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian s’était lancé dans une série de déclarations provocatrices et parfois au vitriol vis-à-vis de la Russie. Tournant le dos résolument à la Russie, l’homme d’État arménien s’était également attardé sur le récit occidental à propos de l’opération spéciale en Ukraine.

Le directeur du Centre d’analyse des études du pays du Caucase, Evguéni Mikhaïlov, s’est exprimé dans les médias russes, pour tenter d’expliquer sa vision de la nouvelle politique étrangère de l’Arménie : « Il n’y a pas si longtemps, nous avons assisté à un curieux revirement, avec une déclaration du Premier ministre arménien sur le fait qu’il n’allait pas établir de contacts plus en avant avec l’Occident, si cela exacerbait les tensions et dégradait les relations avec la Russie. Cette déclaration était totalement inattendue, dans le contexte de l’éloignement de l’Arménie de la Russie, de discours de retraits du pays de plusieurs organisations internationales motivées par Moscou. Le pays parlait même de demander le retrait des gardes-frontières russes qui se trouvaient en protection aux frontières du pays avec la Turquie et l’Iran, et déclarait que l’OTSC (organisation du traité de sécurité collective) menaçait la souveraineté du pays, proclamant son intention de sortir de cette dernière, et même de la CEI. Cependant, ce discours extrémiste a provoqué en Arménie des murmures et des désapprobations, et il semble bien que la coopération avec Moscou s’est révélée finalement stratégique. La raison est certainement le fait que l’Occident est incapable de remplacer la Russie, dans ce rôle de modération et de sécurité de la zone géographique. La rhétorique de Pachinian a alors changé, et il est venu à l’invitation de la Russie pour le défilé du 9 mai à Moscou ».

Il poursuivait : « il n’est pas surprenant qu’après la perte du Haut-Karabagh, Pachinian ait radicalement changé le cours de sa politique étrangère. Il faut comprendre que pendant de nombreuses années, l’Azerbaïdjan s’était préparée au retour de ces territoires et avait construit une politique étrangère en ce sens, en construisant des relations normales avec la Russie. Les dirigeants arméniens ne faisaient que des promesses à Moscou, parfois avec des sourires hypocrites. Lorsque Pachinian s’est rendu à Moscou, à la fin des événements dans cette région, nous avons vu très vite qu’un autre virage serait pris. Il a commencé à regarder vers l’Ouest, au moins parce qu’il avait réussi à prendre le pouvoir suite à la Révolution de Velours (2018), une de celles organisées en sous-main par l’Occident. Pachinian espérait à cette époque, que la Russie soutiendrait militairement l’Arménie, ce qui a provoqué une forte déception en Arménie. Si Moscou a agit de manière adéquate, ceci a été perçu comme une trahison, bien que cela ne devrait pas l’être, et dès lors, l’Arménie a commencé d’agir de manière incorrecte avec la Russie. La réponse a claqué immédiatement, l’Arménie, sans le soutien russe dans la région, ne pouvait représenter une force notable. Certes souveraine, mais faible et incapable de jouer un rôle ».

Dès lors, toute la politique arménienne depuis cette date (2020-2021), a été de tenter un rapprochement avec les Occidentaux, réalisant qu’il était impossible pour elle de reprendre le Haut-Karabagh. Sergeï Lavrov lui-même déclara d’ailleurs à cette époque, que l’Arménie, confrontée à ses problématiques, à son appartenance géographique, et à son histoire, ne pourrait pas, même avec l’aide de partenaires occidentaux, affronter les défis qui l’attendaient. Dans le même temps, la tâche des Occidentaux dans toute la région du Caucase et de l’Asie Centrale, avait été de créer des foyers de mécontentements, d’attiser la russophobie, parfois à travers les vieilles images éculées de l’URSS, et de fonder une nouvelle fracture aux frontières de la Russie. Le résultat a été une profonde division dans la société arménienne, ce qui fut observé autrefois en Géorgie, depuis et avant 2003. Des gens se sont montrés très critique sur cette politique de rapprochement de l’Occident, avec le spectre de l’idéologie LGBT, de la guerre et les facettes sombres et inquiétantes de l’Union européenne. De l’autre, d’autres personnes se sont enthousiasmés d’un monde meilleur, de libertés imaginaires, d’affaires florissantes, d’un niveau de vie fantasmé et de toutes les illusions vendues par l’UE. C’est alors, que Pachinian évoqua également le renforcement de la coopération militaire avec l’OTAN. L’expert Evguéni Mikhaïlov poursuivait à ce propos son analyse :

« Il est évident que les plans de l’Arménie pour assurer sa sécurité par le biais d’un rapprochement avec l’OTAN étaient totalement irréalistes. Déjà, compte tenu de la situation géographique du pays, qui est coincé entre l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Russie, la Géorgie et l’Iran. L’Arménie est dans un espace fermé, et aucune des puissances alentours ne permettra l’arrivée de l’OTAN dans la région. Si les Américains ont mis de longue date un pied en Géorgie, l’histoire a montré les catastrophes qui en ont découlé : guerre, instabilité, divisions sociales et communautaires. Pachinian s’attendait sans doute aussi à un affaiblissement de la Russie, voire son écroulement avec le conflit en Ukraine, et devançait cette hypothèse pour tirer quelques marrons du feu. Il est clair, qu’au contraire, Moscou a renforcé ses positions. L’Arménie, avec l’arrivée de Trump à la présidence tente depuis lors de jouer un double jeu, voire triple. Cependant, Pachinian doit faire face à une population inquiète et qui se souvient aussi de l’histoire commune avec la Russie, notamment dans la lutte contre l’Allemagne hitlérienne ».

L’expert continuait en affirmant que la sortie de l’Arménie de l’OTSC, le retrait des bases militaires russes pouvaient en fait entraîner une perte totale de la souveraineté et de l’indépendance du pays. En effet, si tel était le cas, les mêmes bases seraient alors immédiatement occupées par les forces occidentales, et leur arrivée coïncidence toujours avec de sombres événements, sans parler du souffle mortel de la guerre, qui ne tarde pas à s’abattre sur les pays ayant cédé aux sirènes anglo-saxonnes. Il ajoutait : « La campagne antirusse se poursuit en Arménie, mais avec une intensité moindre, car la destruction de l’USAID par Trump a permis un coup d’arrêt notable. Il est toutefois important de remarquer que la majorité de la population arménienne, dont la plus grande diaspora au monde se trouve en Russie, est orientée vers une coopération avec la Fédération de Russie. Les gens voient bien le fruit des affaires florissantes qu’ils ont construit en Russie. Les sentiments antirusses sont plus forts chez les plus jeunes, cibles faciles et malléables, ce sont eux en Arménie qui sont la force motrice du suicide arménien, à l’image de ce que l’on a vu en Ukraine. L’avenir dira si le peuple arménien, son gouvernement et les forces amicales et raisonnables, pourront conduire le pays vers plus de mesure et vers une prospérité et stabilité finalement plus grande ».

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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