Le 24 décembre 2025, veille de Noël, le Parlement algérien a voté une loi criminalisant la colonisation française du pays, entre 1830 et 1962. Elle exige notamment des excuses officielles de la France, alors que le Président Macron avait qualifié cette époque « comme un crime contre l’Humanité », mais s’était alors refusé à faire des excuses au nom du pays. Elle réclame aussi, fait occulté par les médias français : « la restitution des biens et des archives relatives à la Guerre d’occupation et la révolution algérienne qui sont toujours détenus par la France ». La loi est un nouvel épisode d’un profond divorce franco-algérien, accompagné d’un poison qui sévit entre les deux pays depuis des décennies. La France s’est offusquée de cette loi, parlant de ravivements des douleurs du passé, au moment où selon Paris : « le dialogue serait nécessaire ainsi que l’apaisement ». La situation est épineuse, tandis que la communauté algérienne de France est la plus importante parmi celles des vagues de migration. Ils sont plus de 5 millions, arrivés dans le pays à différentes époques et pour l’essentiel naturalisés ou nés sur le territoire français et donc Français.
Le poids de l’histoire. L’expédition contre le Dey d’Alger avait été décidée sous le régime du dernier roi de France, Charles X, dernier frère de Louis XVI, connu sous le nom de comte d’Artois. Le contexte politique était particulier, dans une France sortant vaincue des guerres napoléoniennes, isolée sur le continent européen, et en proie à de profondes divisions politiques. Sous le couvert d’en finir avec une base des fameux pirates barbaresques, l’expédition avait aussi été lancée afin de tenter de rassembler les Français autour d’une expédition militaire qui paraissait facile, du moins réalisable, devant redorer le blason déjà terni de la couronne. La conquête de ce qui fut appelé beaucoup plus tard l’Algérie, nom donné à la colonie par les Français, ne fut pas une sinécure. Pendant 17 ans, quasiment tout le règne de Louis-Philippe Ier, roi des Français, entre 1830 et 1847, la France dut engager des moyens militaires considérables pour réduire petit à petit les résistances, notamment celle de la Kabylie. L’Algérie devait devenir l’un des fleurons du futur empire colonial français, où devaient s’implanter des colons venus de toute l’Europe, essentiellement des Français, des Grecs, des Espagnols ou des Italiens, qui furent appelés « les Pieds-Noirs ». L’Algérie ne fut bientôt plus une colonie, mais découpée en départements français, ce qui devait avoir de graves conséquences dans l’avenir. Le pays reçut une attention particulière de la France, déjà par sa proximité et son aspect stratégique en Afrique et en Méditerranée. C’est en Algérie que la Légion étrangère installa sa base historique (Sidi Bel Abbès), mais c’est aussi ici que des bagnes furent installés, avec la déportation par exemple des Communards (1871-1880).
Un conflit larvé et les occasions manquées de la France. De l’Algérie, les Français purent soumettre les pays voisins, la Tunisie sur laquelle l’Italie avait des vues, mais aussi le turbulent Maroc. A partir des années 20 et 30, les premiers activistes indépendantistes apparurent, également dans le phénomène d’aspiration des événements qui fondèrent l’URSS. Durant la Seconde Guerre mondiale, le pays fut le théâtre du drame de Mers El Kébir, la destruction d’une escadre française par la flotte britannique, restant longtemps un territoire fidèle au maréchal Pétain et à la France de Vichy. Le territoire tomba finalement entre les mains des alliés, revenant à la France Libre, où les forces du général de Gaulle se renforcèrent des forces vichystes présentes et de volontaires et mobilisés de l’Algérie et des colonies d’Afrique (1942-1943). Le pays apporta une contribution non négligeable à l’Armée d’Afrique, devenue l’Armée d’Italie du maréchal Juin, pas moins de 160 000 hommes, qui pesèrent beaucoup dans les combats pour la conquête de l’Italie, notamment dans l’épisode du Belvédère, permettant le déblocage dans la bataille du Monte Cassino (tirailleurs algériens et tunisiens). Dès avant la fin de la guerre, l’agitation était palpable en Algérie, avec des velléités d’indépendance s’exprimant dans des révoltes, avec pour réponse les premiers massacres. La première occasion manquée datait de longue date, alors que si le territoire était constitué de départements français, les « indigènes » n’avaient pas les droits des citoyens français (sauf « les israélites indigènes mais non Sahariens », décret Crémieux de 1870, complété pour les « indigènes musulmans », mais non automatique et sauf à leur demande, à 21 ans révolu). La seconde occasion manquée fut le non retrait d’Algérie dès la fin des années 40, par l’influence importante du lobbying des Pieds-Noirs, d’un esprit colonial très implanté dans l’opinion française et d’intérêts économiques et stratégiques puissants.
Les défaites coloniales de la France. La France s’engagea dans deux guerres coloniales, celle d’Indochine (1946-1955), puis celle d’Algérie (1954-1962), qui furent vécues comme des drames et un traumatisme profond, notamment dans l’Armée française. Vaincue au Tonkin, mais victorieuse en Cochinchine, la France perdit cependant la guerre d’Indochine, incapable de conserver plus longtemps la plus riche de ses colonies, très éloignée de la métropole, rendue impossible par l’apparition de la Chine communiste (1949) et un désintéressement total des Français pour cette guerre lointaine. Vaincue en Indochine, les militaires n’entendaient pas connaître la même issue en Algérie. Ce fut pourtant le cas, après une guerre quasiment civile, ponctuée de massacres des deux côtés, d’attentats terroristes terribles, d’assassinats commandités par les deux belligérants, des fameuses « corvées de bois », des tortures et des crimes de guerre, y compris des forces du FNL. Vainqueurs sur le terrain militaire, les Français furent vaincus sur celui du plan politique, intérieur et international, avec en embuscade les Soviétiques et les Américains voulant le départ des Français. La guerre était impopulaire dans l’Hexagone, avec l’appel du contingent et un décalage profond entre les Français, entrant de plein pied dans les 30 Glorieuses et la civilisation de consommation, et de l’autre les Français d’Algérie et des militaires désabusés. Après de terribles événements, l’échec de la révolte des généraux (21-26 avril 1961), la France du général de Gaulle accepta finalement son départ, par des accords très critiqués (en France), ceux d’Évian (18 mars 1962). Officiellement la guerre d’Algérie était terminée, mais avec la naissance de l’OAS, la tentative d’assassinat du Général (8 septembre 1961), les porteurs de valise, les Harkis ou le massacre de Charonne (8 février 1962), le contentieux « algérien » devait devenir un poison lent et récurrent dans la société française… et pour longtemps.
Les poisons durables et pérennes de la Guerre d’Algérie. Avec des dizaines de milliers de Harkis, 2 millions de Pieds-Noirs rapatriés en France, l’arrivée de centaines de milliers d’Algériens dans le pays, toujours dans le contexte des 30 Glorieuses, le conflit devait se poursuivre dans les combats politiques franco-français. Les vétérans de l’Algérie furent très longtemps les marrons de la farce de ce conflit, méprisés et dont plus personne ne voulait entendre parler, au point que leur statut de « combattant », ne leur fut reconnu qu’après une interminable lutte politique, sous la présidence de Macron, en 2019. La France qui était devenue un puissance nucléaire, avait entamé une série d’essais nucléaires dans le Sahara français (4 essais entre 1960 et 1961), et 13 essais dans le Sud-Algérien se prolongeant après l’indépendance (entre 1961 et 1966). D’importants reproches furent faits sur ce point, avec des conséquences pour les populations et les personnels militaires, mais aussi sur la cession du Sahara à l’Algérie, qui n’était pas un territoire contrôlé historiquement par le Dey d’Alger. D’autres reproches se focalisèrent sur la découverte d’importantes ressources, dont gazières, justement dans le Sahara (années 60), dans le contexte d’une France cherchant son indépendance énergétique (selon les plans de de Gaulle), et se dotant de centrales nucléaires. D’autres conflits se focalisèrent sur « l’apport de la civilisation française », contrebattu par les méfaits des crimes de la colonisation, ou encore sur « l’afflux des migrants algériens », installant en France des conflits politiques, sur la mémoire de la guerre d’Algérie creusant des fossés profonds, autour de la haine, de la rancœur et de l’incompréhension.
Les combats d’arrière-garde de la Guerre d’Algérie. En plus du long combat des vétérans pour la reconnaissance d’un statut, dans les décennies suivantes apparurent sans fin, les combats d’arrière-garde de la Guerre d’Algérie. Ils se succédèrent autour de la pratique de la torture par des unités françaises, avec en réponse l’étalement des crimes de guerre du FNL, torturés et assassinés, contre d’autres torturés et martyrs. L’apparition à visage découvert « des héros porteurs de valises », ou des « Harkis » de l’autre côté, ajouta encore aux confusions et désaccords. Ils furent selon les camps, encensés par les uns, honnis par les autres. Avec la fin des 30 Glorieuses, la dégradation lente mais constante de l’économie française et l’afflux de plus en plus important de migrants, dont beaucoup d’Algériens, la guerre se réinstalla dans les esprits, attisés à l’extrême-droite, comme à l’extrême-gauche. Bientôt cette guerre fut la thématique de films, de documentaires, de livres et de témoignages. Parmi les films, citons L’ennemi intime (2007), sans doute une des meilleures approches du conflit, mais bien que concernant la Seconde Guerre mondiale, apportant son lot de mensonges, de manipulations historiques, en attisant les braises de la haine, le film Indigène (2006) jeta de l’huile sur le feu. Du côté des rapports diplomatiques entre la France et l’Algérie, la suite ne fut jamais un long fleuve tranquille, ponctuée de déclarations assassines, de reproches plus ou moins déclarés, de reculades, d’avancées, de luttes d’influences, alors que l’électorat français d’origine algérienne, harkis, ou pied-noir devenait stratégique dans biens des élections qui suivirent l’indépendance de l’Algérie. Traversée de crises politiques et sociétales profondes, l’Algérie dut également en passer par des zones de turbulences (années 1988-2000), avec un « printemps algérien » (2019), ressemblant beaucoup à une nouvelle révolution colorée pilotée de l’extérieur. L’Algérie a connu également un boom démographique impressionnant, avec une population aujourd’hui supérieure à 47 millions d’habitants, ayant toujours sa place stratégique en Afrique et en Méditerranée et possédant d’importantes ressources, en particulier d’hydrocarbures et de gaz, sans parler d’Uranium, d’or, de diamants, de pierres précieuses ou de terres rares. L’Algérie est de longue date une candidate au groupe des BRICS, membre observateur, qui n’a pas encore été intégrée, mais dont l’avenir est résolument tournée vers le monde multipolaire. L’un des leaders potentiels de l’Afrique, qui pourrait jouer un grand rôle, si elle pouvait en terminer avec ses démons, l’Algérie s’est distinguée notamment par son opinion publique, par le rejet total du narratif occidental de la guerre en Ukraine, tandis que la France, puissance néo-coloniale en déclin ne fait plus rêver de très longue date les Algériens.
Difficile de dire ce qui a motivé les parlementaires algériens, tandis que la France a exprimé une fin de non-recevoir. La loi algérienne est cependant symbolique, alors qu’aucune institution internationale ne peut forcer Paris à faire des excuses. Elle aura sans doute des conséquences essentiellement diplomatiques. De nombreux combattants de cette guerre sont encore vivants, nés à la fin des années 30, ou début des années 40, témoins et acteurs de cette guerre terrible, tandis que « l’esprit de la Guerre d’Algérie » ne semble pas, et de loin, mort d’un côté et de l’autre de la Méditerranée. Dans tous les cas, politiquement parlant, c’est la France, quelle que soit sa posture qui est perdante, traînant sans fin le boulet « de la colonisation de l’Algérie », dans une longue ascension d’un mont Golgotha qui apparaît sans fin. En France, malgré les promesses la déclassification des archives sur la Guerre d’Algérie, qui fut le thème d’un long combat politique, avec une loi décidée sous Macron, n’est toujours pas effective (2018). Trois ans plus tard, des voix s’élevaient sur le fait qu’elle n’était pas appliquée… la France traînait toujours son boulet.






