Anges blancs Krasnoarmeïsk

À Krasnoarmeïsk, les « Angles blancs » défonçaient portes et fenêtre pour évacuer de force les enfants

Début décembre, j’ai pu interviewer deux femmes récemment évacuées de Krasnoarmeïsk (Pokrovsk), cette ville du Donbass libérée il y a peu par l’armée russe. Svetlana et Natacha (prénom changé à sa demande pour des raisons de sécurité) m’ont raconté comment l’organisation des « Anges blancs » traquait littéralement les enfants qui se trouvaient encore à Krasnoarmeïsk, usant tantôt de ruse, tantôt de méthodes brutales pour les évacuer de force, peu importe la volonté de leurs parents. Elles ont aussi raconté les crimes de guerre de l’armée ukrainienne contre les civils.

La vie à Krasnoarmeïsk pendant les derniers mois où la ville était sous le contrôle de l’armée ukrainienne était un véritable enfer pour les civils, et particulièrement pour les enfants. Comme à Artiomovsk (Bakhmout) et Avdeïevka, l’organisation des « Anges blancs » traquait littéralement les enfants pour les évacuer de force.

Les deux femmes nous racontent comment l’administration locale payait 1 000 hryvnias pour des informations sur la localisation d’un enfant caché par sa famille qui ne voulait pas évacuer côté ukrainien.

« La secrétaire du conseil municipal a posté un message sur les réseaux sociaux disant que quiconque avait des informations sur l’endroit où des enfants étaient cachés chez nous à Krasnoarmeïsk, devait les signaler, téléphoner, des numéros de téléphone étaient indiqués, il fallait leur téléphoner. Les gens recevaient 1 000 hryvnias pour cela. Pour un enfant. Pour avoir signalé qu’un enfant était caché là. Eh bien, il y a des gens qui, pour leur propre profit, pour gagner ne serait-ce qu’un kopek, sont prêts à commettre toutes les basses actions », nous a ainsi expliqué Svetlana.

Natacha a ajouté (hors caméra car pour des raisons de sécurité elle n’a pas voulu être filmée) que ceux qui vendaient ainsi les enfants des autres étaient principalement des alcooliques et des toxicomanes, car ils ont toujours besoin d’argent.

« Un homme se promenait près de notre église qui était restée intacte dans la ville, et le prêtre qui s’y trouvait avait beaucoup d’enfants, plus de trois. Il vivait près de l’église, les Anges Blancs sont venus pour l’évacuer, et il a dit : « Comment puis-je abandonner mon église ? » Alors toute la rue s’est rassemblée et ils se sont passé les enfants, mais ils ne les ont pas laissés les prendre. Et peu de temps après, l’église a été détruite. Ils ont bombardé l’église », raconte-t-elle.

Comme à Artiomovsk et Avdeïevka, de l’aide humanitaire dédiée exclusivement aux enfants a été utilisée par les « Anges blancs » comme piège pour obtenir des informations sur la localisation des enfants dans Krasnoarmeïsk. Mais les deux femmes, conscientes du piège ont refusé de prendre cette aide humanitaire pour protéger leurs enfants et petits-enfants.

Natacha nous a aussi expliqué combien cette organisation prétendument de volontaires était non seulement particulièrement organisée, mais aussi n’hésitait pas à user de force, allant jusqu’à défoncer portes et fenêtres si la famille n’ouvrait pas sa porte à l’imposante équipe constituée de membres des « Anges blancs », des soldats ukrainiens, des policiers et des hommes habillés tout en noir, armés et armurés, sans chevrons, dont le visage était masqué, et qui ne prononçaient pas un mot pendant toute la procédure d’évacuation forcée.

« Ils savent toujours où aller, quoi faire. Ils savent qu’ils sont spécifiquement envoyés dans une maison où il y a un enfant. Ils savent que les parents ne sont déjà plus au travail, qu’ils sont à la maison. Tout est minuté, tout est précis. Si on ne leur ouvre pas immédiatement, ils peuvent utiliser des armes, une hache, un pied-de-biche pour tout casser, et briser les fenêtres à la hache afin d’extraire l’enfant. Si la famille accepte, alors, bien sûr, ils donnent à la famille quelques minutes à peine, « enfilez vite vos vêtements et partez ». Sinon, ils pouvaient prendre l’enfant de force et dire : « C’est fini, vous êtes déchus de vos droits parentaux. On trouvera une nouvelle famille à votre enfant si vous ne voulez pas partir avec lui ». Mais si on n’ouvrait pas, ils savaient qu’il y avait quelqu’un dans cet appartement ou cette maison, et ils commençaient à utiliser la force brutale, à enfoncer la porte. Et il y a aussi pas mal de vidéos, qui montrent les Anges Blancs qui enfoncent les portes à coups de pied-de-biche, ils les défoncent carrément. Ils arrivaient comme un groupe d’assaut. Pas juste pour évacuer des gens, mais comme un groupe d’assaut. Il est arrivé qu’ils les plaquent au sol, le visage contre terre. », nous a-t-elle raconté.

Natacha nous a aussi expliqué que les « Anges blancs » utilisaient même parfois des viseurs thermiques pour scanner les habitations et trouver ainsi ceux qui cachaient leurs enfants. Les aires et jeux étaient aussi visitées par l’organisation pour emmener de force les enfants qui y jouaient.

« Il y a eu des cas où ils ont pris des enfants sans leur famille, lorsque la famille connaît ses droits, peut les expliquer et ne veut pas partir. Il y en a eu, oui. Ils les prenaient, les mettaient dans une voiture et les emmenaient. On m’a raconté des cas, j’en ai entendu parler, où ils venaient dans les aires de jeux. Il y avait une grand-mère avec un enfant sur une aire de jeux, mais elle n’a pas fait attention, et ils ont pris l’enfant. Il y eu a des cas où ils ont retiré les droits parentaux à des familles, et il y a eu des cas où l’on n’a pas retrouvé les enfants. Les parents ont essayé, ils ont cherché leur enfant… Mais l’enfant avait comme disparu. Comme s’il n’avait jamais existé », nous explique-t-elle.

Natacha nous a aussi expliqué que les Anges blancs ciblent toujours en priorité les quartiers ou localités qui ont de bonnes chances de passer sous contrôle de l’armée russe sous peu.

Les deux femmes nous ont raconté aussi comment certaines familles évacuées de force avec leurs enfants sont revenues en ville, en contournant les postes de contrôle, parfois jusqu’à trois fois, au grand dam des « Anges blancs » qui finissaient par menacer de n’évacuer que leurs enfants, sans les parents, pour les empêcher de ramener leurs enfants avec eux à la maison.

Des retours d’autant plus dangereux, que comme nous l’a raconté Svetlana, les soldats ukrainiens tiraient sur ceux qui essayaient de passer par la forêt, et que les drones ukrainiens attaquaient même les civils qui sortaient dans la rue.

En tout cas, le fait que de l’argent était offert pour des informations sur la localisation des enfants prouve que les actions des « Anges blancs » font bien partie d’un business sordide (voir notre enquête de 2023 sur le trafic d’enfants en Ukraine). Car l’état ukrainien étant au bord de la faillite au point de ne pas payer les compensations dues aux familles des soldats morts au combat, et de laisser le financement de l’évacuation des orphelins à l’étranger en 2022 à des oligarques, n’a clairement pas les moyens de payer 1 000 hryvnia pour chaque enfant recherché sur la ligne de front. Ce qui veut dire que que cet argent vient d’ailleurs, très certainement de ceux qui organisent ces évacuations de force des enfants, et pour qui cet argent est un investissement grâce auquel ils espèrent faire un profit des plus juteux.

Voir l’interview de Svetlana, sous-titrée en français :

Christelle Néant

IR

Christelle Néant - Кристель Нэан

Christelle est reporter de guerre dans le Donbass depuis début 2016. Après avoir travaillé pour l'agence DONi, elle fonde le site Donbass Insider en 2018, puis participe à la création de l'agence International Reporters en 2023.

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