Vitaly, habitant de Marioupol, résistant, torturé horriblement par le SBU

15 novembre 2025 16:21

Je rencontrais pour la première fois Vitaly dans le mois de mars 2016, à Donetsk. Il venait d’être libéré par un échange de prisonnier, et revenait à la liberté après plus d’un an d’emprisonnement dans une prison secrète de la police politique ukrainienne, le SBU. Retrouver Vitaly après toutes ces années était l’une de mes priorités, alors qu’à l’époque, il avait préféré ne pas témoigner devant une caméra. Sa famille aurait en effet été menacée et inquiétée par les répressions. Profondément marqué par les tortures, c’est l’une des victimes que j’ai interrogé, qui a subi les plus terribles tortures et également dans la durée. L’homme a accepté cette fois-ci de témoigner devant la caméra, son témoignage vidéo viendra plus tard, mais je me suis décidé à le livrer de nouveau par écrit, neuf ans après l’avoir écouté pour la première fois. Voilà l’un des témoignages effarants des infâmes violences de l’Ukraine, usant des tortures les plus abjectes, rappelant celle de l’émule du SBU : la Gestapo. Voici l’histoire de Vitaly.

Un citoyen ordinaire de Marioupol confronté aux tueries de l’Ukraine. Vitaly était né dans la ville de Marioupol, où il avait toujours vécu et mena une vie tranquille, celle d’un citoyen ordinaire, que rien n’aurait pu distinguer d’un autre. Simple employé, il s’était marié, avait eu des enfants et avait acquis une maison, celle qui aurait dû voir défiler sa paisible existence. Il ne prêta nullement attention aux événements politiques se déroulant dans l’Ukraine indépendante. Ses considérations étaient domestiques, le travail, s’occuper de sa famille, jouir des petits plaisirs de l’existence, des fêtes familiales en passant par les proches et les amis. Lorsque le Maïdan commença à Kiev (hiver 2013-2014), il ne pouvait imaginer les conséquences qui en découleraient pour tout le pays. Tout au plus regarda-t-il les informations, d’un œil distrait. Même après les premières violences, il ne pensait toujours pas qu’une guerre pourrait en découler, jusqu’à l’éclatement de ce qui a été appelé le Massacre de Marioupol (7-9 mai et à partir du 13 juin 2014, s’étendant dans l’été). L’agitation était extrême dans la ville, avec des manifestants rassemblant des milliers de gens. Mais comme il le dit, il se trouvait au travail et les troubles passeraient peut-être ? Et puis, il y eut la journée du 9 mai 2014. Ce jour là, une foule compacte protestait et voulait fêter la Victoire contre l’Allemagne nazie, devenue suspecte par Kiev et honnie par les bandéristes. Les sbires d’Azov*, des forces de police arrivées d’autres régions d’Ukraine, des forces spéciales et la police politique d’Ukraine, le SBU, ouvrirent le feu dans la foule… A l’heure actuelle, le nombre de victimes n’est toujours pas connu. Mes recherches, pour ces trois journées et celles plus violentes qui suivirent la reprise de la ville par les forces de représailles de l’Ukraine, établissent un bilan minimum de 200 à 600 victimes.

Vitaly, la résistance, un devoir au nom d’une cause noble et juste. Ce jour-là, Vitaly perdit deux amis qui tombèrent sous les balles des Ukrainiens.

Il raconte : « Le choc fut énorme, quelle était donc cette armée, qui étaient ces gens qui tiraient sur des civils désarmés et leurs propres compatriotes ? De cette date commença mon action de résistance. Le 11 mai, je votais durant le référendum pour la séparation d’avec l’Ukraine. La ville était noire de monde, certains bureaux de vote étaient assiégés par des files gigantesques de gens, qui attendaient pour voter. Et ce vote c’était OUI à la RPD, l’Ukraine c’était fini. Nous avons cru que tout se passerait comme en Crimée, et nous en avions l’espoir. Mais ils sont revenus, et la ville a été occupée par les Azoviens et les forces ukrainiennes. Dans l’ombre je me suis engagé dans la résistance. Je communiquais à Donetsk les coordonnées, les États-majors, les matériels, les positions d’artillerie, les casernements et toutes lesinformations possibles. Je sus par exemple qu’ils jetaient à partir d’hélicoptères des corps de malheureux assassinés et qui étaient jetés dans les anciennes installations minières et carrière inondées de la région de Granitnoe. Je faisais partie de tout un réseau, mais je fus trahi par mon téléphone et j’appris bientôt que j’étais recherché ».

Des jours entiers sous la torture, l’horreur des caves du SBU. Il avait réussi pour l’heure à tenir plusieurs mois, quand il repéra les premiers sbires qui effectuaient une surveillance autour de lui (décembre 2014). Pour épargner à sa femme d’inutiles tourments et tortures, il préféra quitter son domicile, logé chez d’autres résistants, poursuivant ses activités. Le moment était très chaud, il ne possédait plus qu’une voiture et son téléphone, et ne pouvait quitter la ville. Elle était encerclée par des postes de contrôles sévères, sa voiture était connue, il se savait recherché, toute fuite était en principe impossible. Pendant un mois et demi, il échappa à toutes les recherches, allumant son téléphone pour un besoin urgent, l’éteignant aussitôt et sachant que les limiers de la police politique du SBU débarqueraient très bientôt sur son dernier point de géolocalisation connu. Un jour, il échappa de peu à l’arrestation, réussissant à s’échapper en passant par une porte de derrière, dans un hôpital. Mais les mailles du filet se resserraient. Il ne pouvait quitter son travail, sans ressources la situation aurait été encore plus grave, aussi demanda-t-il des congés. Mais l’inévitable devait arriver, et le 26 janvier 2015, il fut capturé par trois sbires. Un sac lui fut aussitôt mis sur la tête… il ne devait plus le quitter pendant 10 jours… Il fut d’abord emmené dans ce qu’il identifia ensuite comme une ancienne école, où se trouvait une première prison secrète. Pendant 3 jours, il fut torturé sans merci, et interrogé 10 jours durant. Il n’y avait qu’une question : « raconte nous tout ! », les coups pleuvant.

Il raconte : « Je fus battus sauvagement, par plusieurs hommes, qui me posaient des questions en russe. On me pendit au plafond, en me battant, particulièrement dans le dos et sur les articulations. On me plaça une barre de fer, mes mains étant attachées dans le dos, entre les bras et j’étais ainsi soulevé, deux hommes faisant pression de chaque côté… Neuf ans après, j’ai toujours des douleurs dans les épaules, et mes mains ont été entravées si longtemps que j’en garde des séquelles, comme vous pouvez le voir. On me fit subir aussi la gégène, en me plaçant des cosses sur le ventre, c’était très douloureux, je perdais connaissance. Je donnais le nom de mon chef, mais je savais que je pouvais le faire, car il se trouvait en sécurité à Donetsk. On me cita des gens, en me montrant des photos, j’acceptais de dire si je les connaissais, mais sans donner la moindre information qui pourraient les mettre en danger. Ils étaient furieux, au milieu des insultes, des cris, des coups, ils me placèrent un doigt sur une table, et l’un d’eux m’assura qu’ils allaient me couper le doigt et les autres. J’essayais de retirer ma main, mais ils me maintenaient, alors finalement je plaçais ma main de moi-même, en disant : « allez-y, de toute façon tôt ou tard vous allez me couper les doigts, qu’on en finisse ». Ils furent très surpris de ma détermination et finalement renoncèrent ».

Dans les ténèbres de la prison secrète de Kharkov. Ne pouvant même plus tenir un stylo, les brutes lui attachèrent un crayon dans une main, en usant de scotch, car il ne pouvait tenir ce dernier, ni rien d’autres entre ses doigts. Vitaly n’avait pas été nourri pendant les dix premiers jours, et lorsqu’on lui apporta à la fin de la nourriture, il refusa de la manger, pensant qu’elle était empoisonnée… « Tu n’as donc pas faim ! » disaient ses bourreaux. Il n’avait pas été conduit aux toilettes, ni même pour se laver ou prendre une douche pendant tout ce temps. Il fut finalement livré à des officiers du SBU, et emmené dans l’une des caves de cette police dans Marioupol. J’ai pu entrer dans leurs ruines, après la prise de la ville, alors qu’il y avait deux QG du SBU dans la ville : celui de cette dernière, celui de l’oblast de Donetsk. Sa description, ainsi que celles d’autres torturés, avec ma propre « visite » de l’endroit correspondait. Après d’autres violences, il signa le document qui lui était présenté, sans même l’avoir lu et qui n’était pas la réalité. Manu militari, il fut ensuite emmené dans un tribunal, pourvu d’un « avocat » d’office, qui n’était là que pour la forme. Il fut jugé en moins de 45 minutes. A sa grande surprise, il fut condamné à 2 mois de prison, mais pas pour « terrorisme » ou « séparatisme », comme il aurait pu le penser, mais « pour association de malfaiteurs en bande armée »… Il devait comprendre ensuite pourquoi.

Il raconte : « Ma famille ne savait rien de ma destinée, ni où je me trouvais, ni si j’étais vivant. On me transféra dans un fourgon à Kharkov, où se trouvait une prison secrète du SBU. J’y retrouvais 16 autres prisonniers, tous « des terroristes », et nous restâmes enfermés pendant un an… Nous étions entassés dans cette prison, mais il y avait je pense d’autres prisonniers. La nourriture était détestable, nous ne pouvions que rarement nous laver et jamais nous promener, ne serait que dans une cour. Nous étions entassés dans une pièce d’une vingtaine de mètres carrés, il y avait des matelas, un seau et c’était tout. Nous n’avions rien à faire de nos journées, une longue attente usante, et au bout d’un moment on nous donna quand même des livres, afin de tuer le temps. Nous ne savions pas ce qui allait advenir de nous, nous n’avions aucun contact avec nos « avocats », ni même avec aucune organisation et nous sommes restés là dans l’oubli pendant des mois. J’ai appris par cœur le nom de mes compagnons d’infortune, au cas où je sortirai et pour savoir ce qu’ils étaient devenus, ou même témoigner qu’ils étaient emprisonnés par l’Ukraine secrètement. La condamnation était pour la forme, on m’a remis plus tard le document que j’avais signé, lors de l’échange qui se déroula plus tard, et où je fus remis à la RPD. Les deux mois de prison étaient juste une excuse, et en ne me condamnant pas pour « séparatisme », mais pour un simple délit de droit commun, je disparaissais juridiquement, du moins pour les faits pour lesquels j’avais été arrêté. Il n’y avait aucune trace de nous, simplement quelques archives secrètes dans les méandres du SBU. Je me suis même demandé si un jour nous sortirions de là, où si nous ne serions pas tués comme cela a du arriver à d’autres. Enfin l’échange se déroula et je fus pris en charge par les services de la république ».

Épilogue. Vitaly ne pouvait rentrer chez lui à Marioupol, ville occupée par l’Ukraine. Il avait tout perdu et se rendit ensuite à Rostov-sur-le-Don et Moscou pour travailler (2016-2023). Il revînt dans la ville de Marioupol après sa libération (2023), mais son logis se trouvant près des positions d’Azostal, avait été détruit. Il travaille aujourd’hui dans le bâtiment, montrant ses mains toujours meurtries et parlant de ses douleurs dues aux tortures. Il a reçu la nationalité russe et espère être indemnisé, pour le logement perdu. Devant l’histoire, n’ayant pas combattu les armes à la main, mais dans la résistance, il n’existe pas… il n’y a pas encore de statut pour son cas particulier. Il reçoit cependant de l’aide pour régulariser sa situation, un combat qui fut aussi ceux des résistants d’une autre guerre : les résistants, partisans et maquisards de la Seconde Guerre mondiale. L’histoire se répète, sur cette terre de Russie et d’Ukraine, ensanglantée pour des raisons et par des ennemis qui ressemblent à ceux du passé.

* Azov est une organisation interdite en Fédération de Russie, pour l’extrémisme, l’apologie du terrorisme, terrorisme et l’incitation à la haine raciale.

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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