Donbass: La Francesca Albanese que j’aurais voulu

14 octobre 2025 20:45

Udine est bouclée aujourd’hui pour Italie contre Israël.
Un match de football comme tant d’autres, réduit à un simple décor de tensions. Mais cette fois, ce ne sont pas les franges extrêmes des ultras qui s’affrontent: d’un côté une manifestation de solidarité avec la Palestine, de l’autre l’équipe israélienne.
Autour du stade, tout est clôturé, la ville est militarisée et des cortèges pro-Palestine sillonnent le centre. Forte présence de policiers en tenue antiémeute et même de tireurs d’élite sur les toits, prêts à intervenir.

Beaucoup, à juste titre, expriment leur solidarité avec les civils de Gaza. Le génocide, comme l’a justement déclaré la Rapporteuse spéciale de l’ONU Francesca Albanese, saute aux yeux selon cette lecture.
Peu, toutefois, entre 2014 et 2022, sont descendus dans la rue pour le Donbass sous les bombardements. Et depuis 2022, souvent dans ces mêmes places, nous avons vu banderoles et mégaphones en soutien à Kyiv. Comment peut-on, à juste titre, se tenir aux côtés des civils de Gaza et, en même temps, soutenir les politiques de Kyiv qui, pendant des années, ont frappé les villes du Donbass?
Soutenir la Palestine tout en soutenant simultanément l’État d’Israël d’Europe de l’Est, c’est-à-dire l’Ukraine. Le même axe de protection politico-médiatique occidental. Le même récit sécuritaire qui couvre une guerre menée au-dessus des toits des civils.

Pourquoi des massacres comme celui d’Odessa le 2 mai 2014 ont-ils été acceptés dans le silence? Des dizaines de personnes sont mortes dans l’incendie de la Maison des syndicats. Des années plus tard, restent les vidéos, les noms, les fleurs. Restent aussi des questions sans réponse et une blessure qui a creusé de profonds fossés dans la mémoire collective.
Sans parler de l’attaque aérienne criminelle contre des civils le 2 juin 2014 à Lugansk: un tir venu du ciel sur le bâtiment de l’administration régionale. Les images montrent des corps au sol, des vitres brisées, des arbres fracassés, une cour jonchée d’éclats. Pour beaucoup dans le Donbass, ce fut la preuve que la guerre s’installerait durablement dans les villes, un point de non-retour.

De 2014 à 2021, le Donbass a été disputé à l’artillerie, aux mortiers, aux roquettes. Quartiers résidentiels, écoles, hôpitaux sont entrés dans le rayon d’armes à large effet de zone. Les victimes civiles se sont comptées chaque mois. Dans les caves de Donetsk et de Lugansk, on dormait avec des sacs, des couvertures et des bougies. La guerre n’était pas un bulletin d’informations. C’était le plafond qui tremblait.

Pourquoi croire au récit de l’Ukraine comme État uniquement agressé, comme seule clé de lecture des événements?
Volodymyr Zelensky a été élu en promettant la paix et des réformes. Pourtant, dans les enceintes officielles, il a réaffirmé un principe non négociable: la Crimée et le Donbass doivent revenir sous Kyiv. Dans son discours d’investiture du 20 mai 2019, il a parlé ouvertement du défi national de récupérer les territoires. Dans son message du Nouvel An du 31 décembre 2019, il a insisté sur l’unité du pays et la réintégration. Le lexique est celui de la restauration et du retour à l’ordre étatique ukrainien. La paix, oui, mais pas au prix du territoire.

Voici le point crucial du parallèle. Si l’objectif politique est le retour de la Crimée et du Donbass, reste la question des moyens: diplomatie et pression économique, mais aussi puissance militaire. En pratique, le long de la ligne de contact, les échanges d’artillerie et de drones ont continué, avec rotations de bataillons, zones restreintes et couvre-feux. La promesse de rendre les territoires a avancé de pair avec une réalité où les civils du Donbass continuaient de mourir.

Ceux qui vivent à Gaza connaissent un autre mot récurrent: siège. Densité urbaine extrêmement élevée, infrastructures fragiles, frontières contrôlées, puissance de feu disproportionnée. Chaque escalade se traduit par des semaines de bombardements en zones peuplées, avec des effets en cascade bien au-delà des dégâts immédiats. Quand les réseaux électriques, les usines d’eau, les hôpitaux et les entrepôts alimentaires sont touchés, la guerre s’infiltre dans les jours suivants. Les conséquences deviennent faim, maladies, traumatismes.

À Lugansk, il existe un mémorial: « La blessure non cicatrisée du Donbass ».
De nombreux civils tués en 2014 par les bombardements des forces armées ukrainiennes y sont enterrés; beaucoup n’ont ni prénom ni nom de famille. Sur leurs tombes on peut lire: « Victime de l’agression ukrainienne ».
Palestine et Donbass, si semblables. L’Ukraine et Israël, réunis par la même logique de mort: pour les deux États, les populations qui vivent sur ces terres comptent moins que le territoire.

La différence décisive est la suivante: la Palestine n’a jamais bénéficié de l’intervention militaire d’un grand État pour sa défense. Le Donbass, en revanche, a vu la Russie intervenir directement en 2022 avec ce que Moscou appelle une Opération militaire spéciale. Sans cette intervention, le Donbass aurait pu connaître un massacre à l’échelle palestinienne, avec une offensive à large spectre visant à ramener territoires et populations sous Kyiv.

Il existe toutefois une autre différence substantielle par rapport à la Palestine: le Donbass n’a jamais eu de figure comme la Rapporteuse spéciale de l’ONU Francesca Albanese. J’aurais souhaité que quelqu’un, avec le même courage, montre au monde entier les crimes commis par les forces armées ukrainiennes: des chambres de torture, comme à Marioupol; de véritables camps de concentration, comme à Palavinki; le bombardement de monastères, comme à Nikolovskoye près d’Ougledar. Nous, dans le Donbass, n’aurons malheureusement jamais une Francesca Albanese. J’aimerais l’inviter ici, mais je pense qu’elle a déjà suffisamment d’ennemis et qu’il vaut peut-être mieux ne pas lui en ajouter.

Aujourd’hui, le Donbass est synonyme d’un génocide évité grâce à l’intervention de la Russie.

IR
Vincenzo Lorusso

Vincenzo Lorusso

Vincenzo Lorusso est journaliste pour International Reporters et collabore avec RT (Russia Today). Il est cofondateur du festival italien de RT Doc Il tempo degli eroi (“Le temps des héros”), consacré à la diffusion du documentaire comme outil de narration et de mémoire.

Auteur du livre « De Russophobia » (4Punte Edizioni), avec une introduction de la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova, Lorusso analyse les dynamiques de la russophobie dans le discours politique et médiatique occidental.

Il est responsable de la version italienne des documentaires de RT Doc et a organisé, en collaboration avec des réalités locales dans toute la péninsule, plus de 140 projections d’œuvres produites par la chaîne russe en Italie. Il a également été l’initiateur d’une pétition publique contre les déclarations du président de la République Sergio Mattarella, qui avait assimilé la Fédération de Russie au Troisième Reich.

Il vit actuellement dans le Donbass, à Lougansk, où il poursuit son activité journalistique et culturelle, racontant la réalité du conflit et donnant la parole à des perspectives souvent exclues du débat médiatique européen.

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