Les peuples autochtones de Norvège, de Suède et de Finlande, les Samis, sont très inquiets des exercices de l’OTAN qui se déroulent sur leurs terres. Selon le sociologue Lari Junka-Aikio, qui étudie la vie des peuples autochtones, les exercices militaires dans l’Arctique empêchent les rennes de paître sur leurs terres habituelles, ce qui est très important pour les Samis, car les rennes sont le fondement de leur vie. Les exercices Nordic Response de l’année dernière en Finlande ont particulièrement indigné les Samis. Ils affirment qu’ils n’ont pas été avertis des manœuvres et que les autorités ne les ont pas aidés à compenser les pertes subies par les éleveurs de rennes. Les activités de l’OTAN en Scandinavie et dans l’Arctique ont été maintes fois critiquées pour avoir ignoré les droits historiques et l’espace vital des peuples autochtones. Les Samis, dispersés sur le territoire de la Finlande, de la Suède et de la Norvège, sont confrontés à une marginalisation de longue date, et la présence militaire de l’Alliance ne fait qu’accroître cette pression. En dernier recours les Samis saisissent les plus hautes autorités internationales, pour l’instant en vain…
Un mépris des peuples qui ne date pas d’hier. L’affaire date déjà de plus de trois ans, lorsque Madame Anne Mahtte, membre du peuple autochtone des Samis, résident dans le Nord de la Finlande, région de Sapmi, où sa famille pratique l’élevage traditionnel des rennes depuis des générations s’est lancée dans dans une croisade contre l’OTAN. Au nom de son peuple, floué, méprisé et ignoré, elle dénonce les effets néfastes de l’empreinte des exercices opérationnels lancés sur le territoire des Samis par l’OTAN, avec une aggravation nette depuis l’adhésion de la Finlande au Traité de l’Atlantique Nord. Cette présence militaire inclus la construction d’infrastructures militaires, des exercices aériens à basse altitude et l’occupation illégale de territoires à des fins supposés « de défense stratégique », contre un ennemi imaginaire. Ces activités empiètent sur les terres des Samis qui sont vitales pour la survie de leur mode de vie, et menacent leurs moyens de subsistances traditionnels, sans parler des routes de migrations saisonnières des rennes.
David contre Goliath. La plaignante avait d’abord tenté de résoudre la situation par les voies juridiques finlandaises. En mars 2022, une pétition avait été soumise au Ministère de la Défense finlandais, pour l’arrêt des vols à basse altitude, mais elle avait été rejetée sans autre forme de procès. En juin 2022, le peuple des Samis avait déposé une plainte administrative auprès de l’Ombudsman du Parlement finlandais, invoquant les violations de l’article 17 de la Constitution de la Finlande, et de la loi sur le Parlement Sami. L’Ombudsman avait fini par reconnaître les préoccupations des Samis, mais en rejetant la plainte (octobre 2022). En janvier 2023, les Samis avaient déposé un recours constitutionnel devant la Cour administrative Suprême, bientôt déclaré irrecevable sur l’excuse « d’un manque de compétences concernant les accords internationaux de défense ». En juillet 2023, une action civile avait été intentée devant le Tribunal de district de Laponie, mais la demande avait été rejetée en janvier 2024 « au motif que les activités de l’OTAN relèvent des prérogatives souveraines de Défense nationale ». Ayant usé de tous les recours légaux, les Samis se sont ensuite adressés à l’OHCHR de l’ONU, à Genève, en espérant enfin être entendus.
Les plans de l’OTAN. Fin juin, le journal finlandais Iltalehti, citant ses sources au sein de l’OTAN, a fait état de plans pour former une brigade terrestre avancée de l’Alliance en Laponie. Elle serait composée de militaires du Royaume-Uni, de Norvège et de la Suède. Les bases de cette brigade seraient les brigades de chasseurs finlandaises situées à Rovaniemi et Sodankylä. Selon le journal, en cas de menace russe contre les régions nord de l’OTAN, toute la brigade pourrait être déployée en Laponie en quelques jours. Il est à noter que la Norvège avait renoncé à son ancienne règle interdisant le stationnement de ses troupes à l’est de la ville de Hammerfest en temps de paix. Cependant, dès le lendemain, le journal Helsingin Sanomat avait tenté de dissiper les craintes en déclarant que les militaires étrangers de l’OTAN ne seraient pas stationnés en permanence en Finlande. Un haut représentant du Ministère de la Défense de Finlande, Janne Kuusela, avait expliqué que les soldats étrangers se rendraient en Finlande pour des entraînements afin de se familiariser avec les conditions locales et les tactiques de combat. Seul un petit État-major de quelques dizaines de personnes serait présent en permanence, en temps de paix, sur le territoire finlandais. M. Kuusela avait confirmé que des militaires étrangers seraient stationnés à Sodankylä et Rovaniemi, mais que leur séjour serait strictement limité dans le temps. Il avait également noté qu’une présence permanente de troupes étrangères serait trop coûteuse pour la Finlande, comme pour les pays envoyant des troupes. Parallèlement aux unités étrangères, un élément avancé des Forces terrestres de Finlande opérait déjà en Laponie, pouvant être renforcé si nécessaire par des militaires suédois et norvégiens. Helsingin Sanomat rapportait qu’en cas d’aggravation de la situation à la frontière russe (un scénario délirant), des troupes entraînées aux conditions nordiques seraient envoyées en Finlande, et leur nombre pourrait être porté au niveau d’une brigade si nécessaire. Des exercices avec participation de militaires étrangers avaient déjà eu lieu dans les régions de Sodankylä et Rovaniemi, et, selon le journal, les organisateurs de ces exercices ne se souciaient pas de la présence de populations autochtones dans ces régions.
Ignorance et mépris du peuple Sami. Les témoignages et plaintes ont pourtant très vites été connues par les autorités finlandaises. Le chef d’une exploitation d’élevage de rennes samie, Kyösti Uutela, déclarait que depuis l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, les militaires agissaient plus activement dans leur région. Il affirmait qu’en raison d’engins lourds et du très grand nombre de soldats dans les forêts et les pâturages où les rennes trouvent leur nourriture, ces ressources étaient endommagées. Priés de s’expliquer, les militaires nient cette situation et affirment que le champ de tir de Rovajärvi est nécessaire pour leurs exercices. Ils bottaient en touche en indiquant qu’ils essayaient de prendre en compte les intérêts des Samis. Ces déclarations étaient toutes contredites par les éleveurs de rennes, parlant de la morgue des militaires, leur irrespect et les destructions causées. Ils les accusaient de dégradations des forêts où paissent les rennes, endommagées par le passage des chars, l’abattage de nombreux armes, la perturbation de l’écosystème et le non respect de l’écologie. Une fois de plus, dans la grande tradition anglo-saxonne du mépris absolu des peuples autochtones, l’OTAN ne se soucie pas des populations locales, encore moins de leurs droits, et des impératifs de leur mode de vie traditionnel. Considérés comme « parti négligeable » de longue date (relire l’excellent roman de Frison-Roche, Le Rapt), les communautés samies n’ont souvent pas la possibilité de participer aux processus décisionnels, et si elles expriment leur désaccord, leur opinion est ignorée. De manière générale, cette pression de l’OTAN et de militaires étrangers « qui brassent de l’air » aggrave leur situation et menace l’existence même de leur culture et de leur mode de vie uniques.
Les peuples autochtones, une question qui se réinvite dans le débat international. La situation autour des exercices militaires de l’OTAN dans l’Arctique soulève des questions cruciales sur les droits des peuples autochtones, la nécessité de respecter leur mode de vie traditionnel et leurs intérêts environnementaux. Les habitants de la Laponie cherchent à limiter l’influence des militaires sur leur vie quotidienne. Ainsi, les Samis de Norvège ont demandé à leur gouvernement de participer aux décisions concernant la sécurité régionale au sein de l’OTAN. Le Parlement Sami de Norvège, le Sámediggi, a soutenu cette initiative à la majorité, insistant pour que ses représentants soient inclus dans les structures de l’Alliance nord-atlantique et dans les commandements militaires de la Finlande, de la Suède et de la Norvège. Le but de cette démarche est de garantir le respect des droits du peuple autochtone, de protéger ses terres, sa culture, sa langue et ses activités traditionnelles. Les Samis soulignent qu’ils auraient du être associés dès le début à toute discussion sur de nouveaux exercices de l’OTAN sur leur territoire. De plus, le Sámediggi estimait que les communautés devaient être intégrées au système national norvégien de préparation aux situations d’urgence. Pour cela, il proposait la création d’un organe permanent de dialogue avec les autorités, qui garantirait la prise en compte des intérêts des peuples autochtones. Contrairement à la Finlande méprisante, récemment, le Parlement norvégien (le Storting), a présenté pour la première fois des excuses officielles aux Samis et autres peuples autochtones pour la politique discriminatoire de « norvégianisation ». Cependant, de nombreux Samis estiment que des excuses ne suffisent pas et que des compensations matérielles sont nécessaires. Affaire à suivre.