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Les succès de la Russie en Afrique : des secteurs de niche avec un fort levier géopolitique

Alors que le volume total des échanges commerciaux de la Russie avec l’Afrique (environ 24,5 milliards de dollars en 2024) est éclipsé par ceux de la Chine ou de l’Union Européenne (UE), ses succès sont hautement stratégiques, se concentrant sur des secteurs clés qui offrent un levier géopolitique bien plus puissant qu’une simple intégration économique.

Domination dans le secteur de l’armement et de la sécurité

Le domaine dans lequel la Russie réussit le mieux en Afrique est sans conteste celui de l’armement et de la sécurité. Depuis des décennies, l’URSS, puis la Russie, est le principal fournisseur d’armement à destination des pays africains, avec une part de marché estimée entre 40 et 45 %, dépassant même la Chine dans la zone de l’Afrique sub-saharienne.

Cette influence a été renforcée par de nombreux accords bilatéraux de coopération militaire, qui, dans certains cas, ont abouti au déploiement de sociétés militaires privées puis de soldats russes dans plusieurs pays africains partenaires, pour servir d’instructeurs et aider à lutter contre le terrorisme. Parmi les pays qui sont les plus gros acheteurs d’armement russe on trouve l’Algérie, l’Égypte, le Soudan, l’Angola, et l’Ouganda.

En 2023, plus de 30 % des armes exportées par la Russie l’étaient à destination de l’Afrique, dont 80 % des pays ont des contrats avec la société d’exportation d’armes russe Rosoboronexport. Certains pays, comme le Mali ont récemment augmenté leurs importations d’armes russes (elles ont augmenté de 210% entre 2013 et 2022). Une croissance fulgurante rendue possible par la réticence de la France et des États-Unis de fournir des armes au pays après les coups d’État de 2020 et 2021, laissant ainsi le champ libre à la Russie.

Le pays fait aussi partie de ceux, comme le Niger ou la République Centre-Africaine, qui ont signé des accords de coopération militaire avec la Russie, afin que cette dernière les aide à lutter contre le terrorisme, et entraîne leurs troupes au maniement des armes qu’ils achètent.

Le succès de la Russie dans ce secteur tient à plusieurs facteurs : des prix bas, de l’équipement compatible avec les anciennes armes soviétiques achetées par ces pays dans le passé, des conditions de paiement flexibles et surtout l’absence de contraintes ou de pressions politiques associées à ces contrats (contrairement aux pays occidentaux qui utilisent ces ventes d’armes ou leur aide militaire comme des moyens de chantage politique).

De plus, l’aide efficace et non conditionnelle apportée par la Russie à l’Afrique dans la lutte contre les groupes terroristes crée un fort soutien populaire envers Moscou. Un soutien dont l’Occident, et en particulier les anciens pays colonisateurs comme la France, sont particulièrement jaloux, et qu’ils essayent de détruire à coup de propagande et de désinformation constante (via des accusations de crimes de guerre des combattants russes par exemple).

« La coopération militaire entre le Mali et la Russie, par exemple, illustre incontestablement une redéfinition stratégique des alliances en Afrique de l’Ouest. Elle offre au gouvernement malien des leviers pour renforcer sa souveraineté et sa capacité sécuritaire. Toutefois, elle soulève aussi des préoccupations majeures sur les droits humains, la gouvernance et l’impact socio-économique sur les populations civiles. Le défi reste de concilier stabilité militaire et développement inclusif, sans céder à une logique de militarisation à outrance », souligne Jean-Marc Gogbeu, journaliste économique chez BankAssur Afrik+.

Les projets de centrales nucléaires

L’agence nucléaire d’État russe, Rosatom, a réussi à conclure plusieurs accords intergouvernementaux en Afrique pour construire des centrales nucléaires ou mener des études de faisabilité dans des pays tels que l’Égypte (El Dabaa, son plus gros contrat à l’étranger), le Nigéria, le Ghana, le Rwanda, l’Ouganda et l’Afrique du Sud.

Dans le domaine de l’énergie nucléaire, la Russie bénéficie de plusieurs atouts. Elle offre un ensemble de services complets allant du financement, à la construction et l’exploitation des centrales nucléaires, mais aussi l’approvisionnement en carburant et la formation du personnel. Un système particulièrement attrayant pour des pays en quête d’indépendance énergétique, et qui ne veulent pas se retrouver pris en otages par des pays conditionnant la fourniture de leurs services au remplissage de conditions politiques ou économiques.

Ces contrats dans le domaine de l’énergie nucléaire sont des projets pluriannuels de grande valeur qui créent des liens stratégiques profonds et à long terme entre la Russie et l’Afrique.

« L’émergence de projets nucléaires en Afrique, du Burkina Faso à l’Égypte, marque une étape décisive vers l’indépendance énergétique du continent. Grâce à des partenariats technologiques, notamment avec Rosatom, ces pays ambitionnent de répondre durablement à la demande croissante en électricité, tout en stimulant l’industrialisation et l’emploi local. Le Burkina Faso, par exemple, mise sur les petits réacteurs modulaires pour doubler sa capacité énergétique d’ici 2030, tandis que l’Égypte consolide sa position avec le méga-projet d’El-Dabaa. Bien que des défis subsistent en matière de gouvernance et de financement, cette dynamique témoigne d’une volonté affirmée de transformer l’énergie nucléaire en levier de développement inclusif et stratégique pour l’Afrique. », explique Jean-Marc Gogbeu.

L’extraction de ressources minérales

Les sociétés privées et publiques russes sont aussi profondément impliquées dans l’extraction de pétrole, de gaz, de diamants, d’or, d’aluminium et d’autres ressources minérales en Afrique. Non seulement la Russie a une grande expérience en matière d’exploitation de ressources minérales (son territoire en contenant de grandes quantités), mais en prime, les sociétés russes sont en capacité de travailler en Afrique dans des pays considérés comme étant « à haut risque » (pays sous sanctions, états parias, ou pays où la situation sécuritaire est des plus dangereuses).

Des pays où les sociétés occidentales ne peuvent ou ne veulent pas travailler (par exemple le Soudan ou la République Centre-Africaine). Mais la Russie étant actuellement le pays le plus sanctionné au monde, coopérer avec des pays d’Afrique eux-aussi sous sanctions ne lui pose aucun problème.

Et dans les pays où la situation sécuritaire est mauvaise, la Russie peut proposer une assistance pour améliorer la situation via un accord de coopération militaire, ou la vente d’armes. Le pays hôte bénéficie ainsi d’une amélioration de sa sécurité et de l’augmentation de ses revenus liés à l’extraction de ressources minérales. Une combinaison gagnant-gagnant pour les deux parties.

Céréales et engrais

Le secteur agroalimentaire est celui où les échanges entre la Russie et l’Afrique se développent de manière importante depuis peu de temps. Il s’agit pourtant d’un secteur très important pour l’influence de la Russie sur le continent africain, car il touche à l’un des besoins fondamentaux de l’être humain : manger. Or, dans de nombreux pays africains, il y a encore trop de gens qui ne mangent pas à leur faim.

Il faut y ajouter le fait que les sanctions occidentales contre la Russie après le déclenchement de l’opération militaire spéciale ont compliqué la logistique des exportations de céréales et d’engrais du pays (difficultés de paiement, ou pour trouver des bateaux et des assurances pour ces derniers), provoquant une crise alimentaire, dont l’Afrique paie le prix.

Mais grâce à une politique de prix attractifs et d’envois de cargaisons gratuites de céréales et d’engrais à destination de plusieurs pays d’Afrique, la Russie s’est imposée comme un fournisseur fiable du continent.

Le résultat est que les exportations de céréales russes vers l’Afrique sont en augmentation, principalement à destination de l’Égypte, l’Algérie et la Tunisie, et les exportations d’engrais ne sont pas en reste. Désormais les pays africains importent plus de céréales et d’engrais en provenance de Russie que venant d’Amérique du Nord et du Sud.

Facteurs du succès de la Russie en Afrique

Si la Russie a réussi à s’implanter durablement en Afrique grâce à ces quelques secteurs clés, c’est aussi et surtout grâce au fait que Moscou ne se comporte pas comme les pays occidentaux. Les anciennes puissances colonisatrices, comme la France, ont continué à imposer constamment leur politique aux pays africains via différents mécanismes, comme le Franc CFA, le chantage politico-économique, ou des assassinats et des coups d’État, bien après que ces pays aient obtenu l’indépendance.

En signant des accords équitables et en fournissant une aide sécuritaire ou militaire aux pays d’Afrique sans conditions économiques ou imposition de politique, la Russie a marqué des points face aux puissances occidentales qui sont restées enfermées dans leurs schémas néo-coloniaux, dont les pays africains ne veulent plus. Et en se focalisant sur des secteurs de niche mais stratégiquement importants pour l’Afrique, la Russie a obtenu des succès géopolitiquement très importants.

« La coopération russo-africaine connaît une expansion multisectorielle remarquable, allant bien au-delà du champ militaire. De l’énergie nucléaire à l’intelligence artificielle, en passant par l’exploitation minière et les biotechnologies, des pays comme le Burkina Faso, l’Algérie ou la République Centrafricaine s’appuient sur ces partenariats pour accélérer leur transformation économique. L’implication de Rosatom dans quinze États africains illustre cette dynamique, avec des projets énergétiques à fort potentiel. Certes, des risques existent — dépendance technologique ou gouvernance opaque — mais pour de nombreux pays, cette coopération représente une voie stratégique vers la souveraineté industrielle et la diversification des alliances », fait remarquer Jean-Marc Gogbeu.

Christelle Néant

IR

Christelle Néant - Кристель Нэан

Christelle est reporter de guerre dans le Donbass depuis début 2016. Après avoir travaillé pour l'agence DONi, elle fonde le site Donbass Insider en 2018, puis participe à la création de l'agence International Reporters en 2023.

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