Foreign mercenaries in Ukraine, attached to the 92nd brigade, who participated in the war crime of Petropavlovka, September 27, 2022.

Surnoms de guerre : un révélateur de l’esprit des mercenaires en Ukraine

Les surnoms de guerre se sont immédiatement imposés dans la guerre d’Ukraine, dès son commencement en avril 2014. A l’époque, ces surnoms étaient nécessaires pour beaucoup de soldats, notamment du côté des républicains du Donbass, afin de camoufler leurs identités, devant les terribles menaces pesant sur leurs familles. Côté ukrainien, avec un très grosse population de Russes ethniques et le danger de règlements de compte, cette norme s’imposa elle aussi. Pour les mercenaires et volontaires étrangers venus combattre des deux côtés, cette pratique s’affirma également, devant la nécessité de cacher les identités, dans l’expectative de poursuites judiciaires dans leurs pays. Avec la SVO déclenchée par la Russie en février 2022, des milliers de mercenaires et volontaires ont afflué en Ukraine. C’est à travers une liste de plus de 4 600 profils et biographies, que j’ai réalisé cette petite étude sur environ 1 500 surnoms de guerre.

Une pratique historique déjà ancienne. Bien que finalement absente de la plupart des conflits du XXe siècle, des surnoms étaient souvent donnés par leurs camarades à d’autres soldats, selon leurs caractéristiques physiques, psychologiques, ou d’autres traits particuliers. Les surnoms de guerre furent toutefois très populaire dans les armées françaises de la révolution et de l’empire. Les canons eux-mêmes étaient baptisés de « petits noms » parfois évocateurs. Dans des campagnes qui durèrent plus de 20 ans, ces surnoms firent école et furent portés avec fierté. Dans certain cas, les attitudes des soldats, leurs caractéristiques physiques exceptionnelles, ou des traits de caractères furent à l’origine d’expressions populaires comme « Faire le Mariolle », du nom d’un célèbre grenadier et vétéran de la Grande Armée. Les soldats n’hésitaient pas à donner des surnoms à leurs officiers généraux, Bonaparte fut lui-même surnommé « le Petit Caporal », suite à une grande victoire durant la campagne d’Italie (1796-1797). Certains autres évoquaient des faits marquants, comme pour le général Hulin, surnommé « mange-la-balle », et pouvait aussi être observés dans la société civile, comme pour « Madame sans-gêne », la femme du maréchal Lefebvre, ou « Notre-Dame de Thermidor » pour l’épouse du conventionnel Tallien.

Des surnoms choisis ou donnés. Mais revenons à nos mercenaires d’Ukraine, qui comme tous les combattants des deux côtés, portent un patch, avec leur « pozivnoï » (surnom). Dans beaucoup de cas ces surnoms sont donnés par les camarades, après avoir observé ou remarqué des caractéristiques marquantes. Dans d’autres cas, pour des hommes cultivant le narcissisme, la bravade et l’amour de soi, ce sont eux qui préfèrent s’affubler de surnoms, qui souvent en disent long sur leur esprit et leur nature. Ces pratiques n’honorent évidemment pas ceux qui se refusent à attendre que leurs camarades leur donnent eux-mêmes un surnom, mais ainsi en va-t-il des travers de l’âme humaine. Chez les mercenaires cette pratique paraît majoritaire, mais ce n’est pas ce qui est observé dans les armées russe et ukrainienne, où les régions d’origines, des jeux de mots avec le nom de famille, des surnoms humoristiques, ou des traits particuliers physiques ou psychologiques sont la plupart du temps à l’origine des surnoms de guerre. Chez les mercenaires on observe trois grands groupes linguistiques : 1) les surnoms anglo-saxons qui dominent très largement les autres (autour des 60%), 2) les surnoms hispaniques du fait de très nombreux mercenaires Sud-Américains et d’Amérique Centrale, 3) les surnoms donnés en ukrainien, russe ou biélorusse par les combattants locaux. Mais passons en revue les grandes tendances des surnoms de guerre que se donnent ou reçoivent les mercenaires.

Le groupe majoritaire des « Narcisse ». Dans ce groupe, le plus important, les surnoms sont donc choisis et donnent une impression frisant parfois le ridicule, l’absurde, mais reflétant un état d’esprit. Ces hommes en manque de reconnaissance ont besoin de s’affubler de surnoms martiaux, qui sont censés en imposer au reste de leurs camarades. Les plus usités sont les suivants : Ghost, Shadow, Mafioso, Gangster, Commandant, Comandante, Captain, Commando, Duc, Roi (King, Kaiser, Rex, Konig), Maximo, Maximus, Ninja, Shaolin, Poison, Punisher, Raider, Ronin, Samouraï, Shogun, Spartan, Templier, Knight, Paladin, Lancero, Depredator, Pirate, Lord, Warlord, Magnus, Maestro, Muerte, Death, Killer, Terror, Titan, Tornado, Storm, ou encore Zeus.

Un premier sous-groupe existe dans cette catégorie, avec ceux qui préfèrent faire référence à des animaux, des créatures fantastiques ou des monstres. L’idée est exactement la même en s’identifiant à des animaux majestueux, terrifiants ou réputés pour leurs caractéristiques physiques légendaires. Les surnoms inspirés d’animaux réels sont les suivants : Bison, Buffalo, Caïman, Chacal, Cobra, Condor, Coyote, Raptor, Aigle, Hyène, Léopard, Panthère (le 3e plus populaire), Pitbull, Puma, Requin, Scorpion (le plus populaire de très loin), Loup (le 3e plus populaire à égalité), Serpent, Vipère, Tigre (le 2e plus populaire). Pour les animaux fantastiques ou de la mythologie, le premier, de très loin, est Phoenix, suivi de Sphinx, Centaure, Cerbère, Godzilla, ou Dragon.

Un second sous-groupe s’inspire plutôt des références cinématographiques, les séries télévisées ou les romans. On trouve parmi eux des Skywalker, Yan Solo, Zorro, Dracula, Candyman, Batman, Obiwan Kenobi, Rambo (l’un des plus populaires), Rocky ou encore Yoda. D’autres encore s’identifient plutôt à des personnages historiques, dont les plus populaires sont : Al Capone, Jules César, Geronimo, Ghandi et Napoléon. Les références mythologiques sont aussi très prisées, plongeant dans l’antiquité égyptienne, romaine et grecque. Les plus rencontrés sont : Ajax, Anubis (le plus populaire), Apollon, Arès, Hector, Horus, et Kratos (le 2e plus populaire). Mais le plus emblématique et peut-être le plus ridicule de ce sous-groupe sont les références à la civilisation Viking, car ceux qui s’affublent de ces surnoms ne sont nullement des Scandinaves (majoritairement des Sud-Américains et Anglo-saxons). Les références majoritaire sont ici : Berserker, Ivar, Loki, Odin, Thor, Viking (le 3e plus populaire), Rolo (le second), et surtout Ragnar le plus populaire de tous. L’empreinte des écrans et du mondialisme est ici impressionnant, transformant d’anonymes Colombiens descendants d’Indiens, de colons espagnols et d’esclaves noirs en féroces « Vikings ».

Un troisième sous-groupe s’inspire majoritairement de références politiques, religieuses ou mystiques. Il y a cependant relativement peu de références bandéristes, fascistes ou nazis, car à l’échelle des biographies que je possède, la quantité de fanatiques idéologiques de ce genre ne représente qu’environ 12 %. Cependant pour les pays occidentaux, le taux monte très vite, à une moyenne de plus de 20 %, et dans certains pays dépassant les 30 %, voire les 40 % (pays baltes, scandinaves, France, Espagne, Italie ou Allemagne). Les surnoms de cette catégorie sont 88, Adolf, Edelweiss, Stuka, Kapo, Mussolini, Bandera, ou des combinaisons anglo-saxonne avec le mot « Blanc » (en référence à la suprématie de la race blanche). D’autres mots moins connotés sont utilisés comme : Partisan, Républicain, Mercenaire ou Volontaire. Du côté des références religieuses, deux tendances s’affrontent : la majorité qui affiche le satanisme ou des références maléfiques, et la minorité avec des références angéliques. Les surnoms les plus populaires sont Baphomet, Satan, Lucifer, Diable, Cabale, Occultiste, Démon, ou des noms particuliers de démons, comme Azraël. Dans le camp du « bien » on trouve Ange, Archange, Ange Gardien, ou même simplement Gardien.

Un quatrième et dernier sous-groupe, avec de très nombreux mercenaires, est celui de ceux qui voulaient rester dans l’anonymat. Beaucoup se sont ainsi choisi une fausse identité, parfois même éloignée de leurs origines, avant qu’ils ne soient démasqués pour une raison ou une autre (parfois leur mort).

Le groupe minoritaire des surnoms donnés par les camarades. La plupart du temps ces surnoms sont donnés selon plusieurs standards : 1) l’origine géographique, 2) l’origine ethnique, 3) des caractéristiques psychologiques, 4) des caractéristiques physiques, 5) la fonction du soldat dans son unité, 6) la profession autrefois pratiquée par le soldat, 7) des jeux mots en relation avec le prénom ou le nom de famille, 8) une addiction ou résistance à l’alcool, 9) un sport ou un hobby pratiqué, 10) Une plaisanterie potache suite à une anecdote de vie, 11) l’âge du mercenaire. Pour les origines géographiques et ethniques on retrouve par exemple Texas, ou l’Indien, Fritz, Français, Suédois, Yankee, Cosaque (et dans la version narcissique, Hetman) ou Gringo. Les caractéristiques physiques et psychologiques apportent leur : Géant, El Loco, Crazy, Ours, Sage, Poète, Speedy ou Torpedo. Au niveau des âges, les surnoms dominants sont : Infante, Grand-Père, le Vieux, Pacha, Père, Padre ou Oncle. Mais l’on peut trouver pour les plus défavorisés, Quasimodo, Nain, Nourrisson, Bébé, Kéké, Titi, ou Méchant. Dans certains cas, la force physique, la maîtrise d’un sport, ou un talent musical peuvent voir les mercenaires affublés des surnoms : Elvis, Casper, Arnold, M’Bappe, Psychologue, Boxeur, Chasseur, Sage ou même Dracula pour une dentition particulière (un des plus populaires de cette catégorie). Les fonctions militaires jouent aussi un rôle, avec des surnoms évoquant leurs postes, comme Lance-grenades, Pistol, Mitrailleur, Doc, Sniper ou évoquant une grande chance après avoir survécu à une situation dangereuse, avec le surnom d’Immortel. Dans d’autres cas plus rares, ce sont les anciens métiers ou études qui génèrent les surnoms, avec par exemple Peon, Mathématicien, Taxi, Marin, et quelques autres qui sont donnés à ces mercenaires. Enfin la marche se ferme avec ceux qui ont été moqués, ou identifiés comme des malchanceux, le plus populaire étant Touriste, et j’ai même trouvé un Titanic…

Un tableau peu glorieux mais qu’il faut tempérer. Si l’analyse de ces centaines de mercenaires via leurs surnoms de guerre est plutôt négative, il faut toutefois prendre en compte plusieurs autres paramètres. Le premier est que j’ai travaillé sur un groupe de 4 600 mercenaires, dont 1/3 tiers seulement des surnoms de guerre sont connus. Ces hommes sont assez souvent ceux qui ont été tués (un peu plus de 800 sur ce lot), où ceux qui aiment beaucoup se montrer. Ils ont été instrumentalisés dans des articles ou des reportages en Ukraine, ou dans leurs pays d’origines, et cette catégorie cherche en effet les caméras, les honneurs, la reconnaissance de leurs pairs, de leurs familles, voire des sociétés dont ils viennent. Beaucoup d’autres nous sont inconnus, il s’agit de la majorité :celle des discrets, des secrets, de ceux qui fuient les caméras, les médailles et qui sont venus dans l’anonymat, pour combattre, parfois empocher de belles sommes d’argent, mais qui pour de multiples raisons ne veulent pas que leurs histoires, leurs vies et familles, soient étalées sur la place publique. Une conclusion toutefois peut-être faite : beaucoup cherchent quelque chose de plus en venant en Ukraine : être considérés comme des héros, plaire voire ramener une femme, sortir ou échapper à une vie morne, échapper à la justice de leur pays, se sentir vivants… forts et respectés, accumuler des médailles, ou donner un sens à des vies tristes et ratées. Avec la défaite ukrainienne inéluctable, pas sûr qu’ils ne rejoignent pas « les Hérétiques » de Saint-Loup, dans la honte, le déshonneur et les oubliettes de l’histoire.

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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