La chute de l’Union européenne est-elle inévitable ?

Alors que l’Union européenne rencontre des résistances un peu partout dans les opinions publiques des pays membres, la question peut légitimement se poser. Née du Traité de Rome en 1957, elle ne comportait à cette date que 6 membres fondateurs, qui sont en quelque sorte les piliers de l’UE : la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Depuis cette date l’union a fait du chemin, intégrant une vingtaine d’autres pays, et affirmant vouloir en intégrer d’autres qui sont parfois aux confins douteux de l’Europe (comme la Géorgie ou l’Arménie). Après une période d’expansion où elle faisait encore l’unanimité, l’Union européenne s’est étendue jusqu’aux frontières de la Russie, intégrant une grande partie des anciens membres du Pacte de Varsovie. Ces pays furent tous intégrés dans la foulée… à l’OTAN. Des lézardes apparaissent toutefois depuis plusieurs années, avec la sortie du Royaume-Uni, et des conflits internes qui sont apparus avec la SVO en Ukraine. Pourra-t-elle survivre ?

L’Union européenne, le Reich de mille ans… qui s’écroulera comme tous les empires. Du point de vue de l’historien, qui se place dans la durée, la chute de l’Union européenne est inévitable et inéluctable. Jamais dans l’histoire de l’Humanité, aucun empire ou organisation supra-nationale n’a pu se maintenir. Les exemples les plus anciens sont bien sûr les empires de l’Antiquité. La République romaine eut une assez grande longévité (509-27 av JC), et son héritier, l’empire romain réussit à se maintenir quelques siècles (27 av JC-476). La Porte Ottoman prospéra longtemps avant d’entrer en déclin et de s’effondrer (1299-1922). Beaucoup d’empire connurent une fin similaire au XXe siècle. Citons l’empire d’Autriche (puis d’Autriche-Hongrie, 1804-1919), l’empire russe (1721-1917), ou encore l’empire allemand (1871-1918). Ce siècle fut d’ailleurs celui de l’hécatombe des empires, avec la disparition de l’un des plus anciens, l’empire perse (552 av JC-1979). Mais tous ces empires correspondaient à des dynasties et à une idée nationale, ou du moins un regroupement de peuples autour d’une unité plus ou moins solide (comme pour la Confédération Iroquoise, milieu XVIe-1779). Du côté des formations supra-nationales, les disparitions furent aussi inéluctables, comme pour la Ligue Hanséatique (XIIe siècle-1648), le Saint-Empire Romain Germanique (800-1806), ou encore l’URSS (1922-1991). Un phénomène d’érosion plus rapide des empires est par ailleurs observé depuis le XIXe siècle, avec une accélération au XXe siècle. Le constat de l’historien est que l’Union européenne s’écroulera tôt ou tard, pour diverses raisons.

Une entité géopolitique appelée à disparaître. Les raisons de sa future disparition sont finalement contenues dans l’enseignement des autres cas historiques. Pour les entités monarchiques, l’extinction d’une dynastie, l’arrivée de nouvelles idées ou d’idéologies, la défaite militaire, des catastrophes naturelles, des famines et la ruine économique furent les éléments principaux de ces effondrements. Les principales raisons potentielles de la chute de l’Union européenne sont :

1) Des raisons économiques, par le fait que des États « plus riches » versent plus d’argent à l’UE, qu’ils n’en reçoivent. L’investissement est donc à pertes, tandis que trois des pays fondateurs sont parmi les plus endettés au monde (Italie, France et Belgique). L’Union européenne a d’ailleurs initié des politiques agricoles de « partage et contrôle » des productions, qui ont conduits à de dangereux déséquilibres, et la destruction partielle de nombreuses exploitations (notamment en France). De plus, la création d’une monnaie supra-nationale, l’Euro, n’a pas été sans conséquence. Considérée comme l’une des monnaies de réserve, sensée contrôler l’inflation et apporter une stabilité, cette dernière n’est en fait supportée que par la solidité de l’Allemagne, et par certains artifices économiques. Elle représente tout à la fois, une force et un talon d’Achille qui pourrait s’avérer incontrôlable, les pays membres et intégrés dans la zone euro n’ayant plus les leviers de leur souveraineté monétaire.

2) Des raisons politiques, dans une structure centralisée qui a des difficultés à imposer ses décisions, face à des intérêts nationaux souvent contraires. Le cas le plus prégnant est celui actuel de la Hongrie et de la Slovaquie, se refusant au suicide et ayant besoin des ressources énergétiques venues de Russie. L’Union européenne pour la première fois a menacé de geler les milliards alloués à ces pays, créant une division. De ce fait, des ressentiments, des déceptions et une impopularité sont en train de naître dans des pays intégrés tardivement, et qui avaient adhéré dans l’enthousiasme. Ne possédant aucune force militaire commune, l’Union européenne est également une entité hybride, qui a une tendance à vouloir supplanter les régimes politiques dans les États membres. L’Union européenne pousse également à la création de « lands supranationaux », des entités qui pourraient se révéler dangereuses en faisant fi de l’histoire et en intégrant de force des populations aux aspirations éloignées. L’un des cas les plus célèbres dans l’histoire fut l’idée anglaise de forcer flamands, wallons et hollandais, à vivre dans un royaume des Pays-Bas, qui s’écroula bientôt dans la révolution, la guerre et la séparation (1815-1831).

3) Des raisons bureaucratiques, car l’Union européenne est devenue au fil du temps, un monstre bureaucratique, lourd et ayant mis en place une foule d’institutions coûteuses, entretenant une foule de bureaucrates et de politiciens professionnels de l’UE. Ce labyrinthe d’institutions et représentations supranationales, comme la Commission européenne, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ou le Parlement européen sont peuplés de fonctionnaires, bureaucrates et politiques qui ont tendance à vivre hors des réalités des populations des pays membres. Cette bureaucratie se signale par des interférences et des intrusions de plus en plus nombreuses, sur des terrains glissants, notamment en terme de géopolitique internationale, mais ayant des conséquences également dans les sociétés européennes jusque dans les régions.

4) Des raisons idéologiques, car pour se maintenir face à des populations rétives, l’Union européenne a finalement créé une idéologie, l’européisme. Longtemps soutenue par une intense propagande, elle s’est fracassée sur des résistances, notamment en France et au Danemark, au moment du traité de Lisbonne (2005). Les référendums furent défavorables dans ces pays à construire « plus d’Europe », mais l’opinion publique fut trompée, soit par la force (Sarkozy, 2007), ou par l’annulation du précédent référendum, et après un battage médiatique incroyable, la tenue d’un nouveau (Danemark). Depuis lors, plus aucun référendum de ce genre n’a été tenu en UE. De ces dates, le visage antidémocratique de l’UE a été dévoilé, avec la création inquiétante de forces répressives de police, dont l’Eurogenderfor (FGE, Force de Gendarmerie Européenne), définie comme devant agir sous l’égide de l’ONU… et de l’OTAN. Cette force répressive a d’ailleurs été créée à la demande de la France (2004), et par traité comportait 7 pays (avec en plus l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Pologne et la Roumanie, en 2007). Certains témoins ont affirmé que ces forces de répression ont été engagées notamment en France, dans les manifestations contre le Mariage pour Tous (2012-2013), ou les Gilets Jaunes (2018-2019). Pour se maintenir, à termes, l’idéologie européiste ne pourra que devenir répressive, et oppresser les peuples qu’elle prétendait rendre plus heureux « dans la paix ».

Des événements imprévus pourraient provoqués plus rapidement sa chute. La liste ci-dessus n’est cependant pas complète, car l’histoire aura souvent démontré que des événements et catastrophes pouvaient accélérer la chute d’un empire. Parmi les cas les plus célèbres, citons l’éruption d’un volcan islandais (1788), qui provoqua une vague de disettes et une crise frumentaire, accélérant le déclenchement de la Révolution française. D’autres plus proches de nous, sont la catastrophe de Tchernobyl (1986), et l’engagement dans une guerre d’enlisement en Afghanistan des Soviétiques (1979-1989), qui accélérèrent la chute de l’URSS. Un des événements imprévus est justement en cours, la SVO en Ukraine. L’intervention russe de février 2022, aura en effet provoqué une position extrémiste et démesurée des élites bureaucrates et politiques européistes et européennes. Engagées aux côtés de l’Ukraine, dans une guerre qui sera perdue, les conséquences seront lourdes pour l’Union européenne, en plus d’une défaite militaire, politique et diplomatique, et le gaspillage de milliards dans un contexte de grave crise économique, l’Union européenne aura aussi démontrée qu’elle était non pas garante de la paix en Europe, mais un vecteur de guerre. Déjà âgée de 68 ans, la vieille dame est probablement sur la pente. Son alter ego soviétique était âgée de 69 ans, au moment de sa fin dramatique. Personne ne peut prédire la date de son écroulement, mais les signes inquiétants et les fissures sont déjà bien visibles. Dans les mêmes conditions, à une autre époque, en Pologne ou en RDA, les régimes en place du Pacte de Varsovie s’étaient raidis jusqu’à paralyser totalement les deux pays. Il est fort probable que l’écroulement viendra à partir d’un pays qui aura été le plus loin dans les répressions et humiliations de sa population, et que le départ, ou l’effondrement par un moyen ou un autre, d’un des trois plus importants fondateurs de l’UE, la France, l’Italie et l’Allemagne, conduira ensuite à une explosion interne. Une autre hypothèse, serait le commencement d’un mouvement populaire anti UE dans un pays inattendu, mouvement qui se propagerait ensuite à d’autres pays membres, et à son explosion finale.

Bien d’autres scénarios sont envisageables, ceux qui n’auront pas conscience de ce que je viens d’expliquer, et qui assisterons à son écroulement, se réveilleront avec un mal de tête et dans un désarroi que les populations de l’URSS ont connu… La suite fut une période chaotique, dans les ruines d’un empire, qui lui aussi se croyait immuable.

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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