5 avril 2016, Enakievo, RPD, Donbass. Je me trouvais avec mon ami Evguéni, un ancien milicien républicain, originaire du lieu. L’homme me guida en cette journée et je rencontrais plusieurs témoins des horreurs et tueries des bataillons de représailles ukrainiens dans la région. Evguéni avait passé 3 semaines à convaincre Olga, pour qu’elle me rencontre et me raconte la terrible histoire qu’elle avait vécu à Kommunar, non loin de Gorlovka et Jdanovka. Elle n’avait accepté qu’à la condition de me rencontrer dans un lieu neutre, sur le banc d’un modeste arrêt de bus de Enakievo. Elle craignait en effet d’être reconnue, retrouvée et assassinée par les Ukrainiens. Son témoignage fut l’un des plus durs, que j’eus à entendre. Olga se trouvait assise sur le banc de l’arrêt, tremblante, n’osant me regarder, et refusa que je filme, dans sa terreur absolue du SBU. Ainsi commença pour moi la longue et grande enquête sur le massacre de Kommunar, en août et septembre 2014.
L’offensive ukrainienne pour liquider le Donbass.Olga me raconta à l’époque l’arrivée de troupes ukrainiennes dans le village de Kommunar, et dans deux autres hameaux proches. Nous étions le 16 août 2014, en plein dans la bataille dite des Frontières. Les Ukrainiens avaient lancé une vaste opération militaire, visant à écraser une fois pour toute les populations du Donbass, et l’insurrection républicaine. Au Sud, les bataillons ukrainiens, Azov* en tête tentèrent d’atteindre la frontière russe, afin de couper le Donbass de la Russie, et les Républicains de leur soutien. Au Nord de Donetsk, même plan, dans une seconde pince qui s’enfonça dans le dispositif républicain, occupant les villes et villages de Shakhtiorsk, Kommunar, Jdanovka. L’idée était d’encercler Donetsk, pour ensuite écraser la capitale de la RPD. Plus au Nord encore, en RPD et RPL, un plan similaire fut appliqué, et la ville de Lougansk momentanément isolée et encerclée. La soldatesque ukrainienne, des troupes de l’armée régulière, des supplétifs de bataillons de Police (dont Azov), des bataillons bandéristes et de représailles, accompagnés par des agents de la police politique ukrainienne, le SBU, se ruèrent à l’assaut. C’est dans ces événements et manœuvres militaires, qu’un important contingent ukrainien entra le 16 août 2014, dans le gros village de Kommunar, qui avait une population d’environ 3 000 personnes avant le Maïdan. Le bourg comportait deux mines, la N° 22 et 23, qui avaient attiré la venue de travailleurs à l’époque soviétique. Malgré le déclin, les deux puits étaient toujours en activité en 2014, exploitant l’or noir du Donbass : le charbon.
Le témoignage d’Olga. La problématique de son témoignage était justement que je n’avais pas pu filmer. Seule ma mémoire a gardé les faits marquants de son récit, et bien que ma mémoire soit une force qui étonne souvent mes proches, elle ne pouvait servir de preuve sans faille. Olga me raconta le massacre de jeunes hommes, l’assassinat atroce d’une femme enceinte, la torture infligée publiquement à ces jeunes, les cris horribles des martyrs. Elle raconta qu’elle s’était cachée, et que les Ukrainiens avaient liquidé de nombreuses personnes dans la localité et de deux autres hameaux très proches. Le premier fait qui me frappa en arrivant dans Kommunar, ce fut l’impossibilité pour les Ukrainiens d’avoir tué tout le monde, dans un lieu aussi grand. A ce moment de mon arrivée dans le village, je compris que le massacre, bien que décrit comme celui de quelques dizaines de personnes, n’avait pas liquidé l’ensemble des habitants. Le lieu était plus important que celui décrit par Olga, mais je me trouvais pourtant bien au bon endroit. La suite fut donc capitale, il fallait trouver des gens confirmant le plus important : des jeunes hommes assassinés, torturés publiquement, une femme enceinte massacrée et violée. Le second point était celui des assassins. Olga n’avait cité que le bataillon Aïdar, sans trop pouvoir donner d’autres informations, mais dans mes recherches sur les bataillons ukrainiens, j’avais découvert que 2 unités se trouvaient assurément dans le village, le bataillon Poltavshina et des unités de la 25e brigade aéroportée de l’armée régulière ukrainienne.
Le témoignage de Ludmilla. 10 juillet 2025, avec mon compagnon et ami Andreï, nous débarquions dans une chaleur écrasante dans le village de Kommunar. Personne ne connaissait notre venue, et c’était la première fois que je me rendais dans le lieu. La localité était similaire à toutes celles du Donbass, modeste, avec des infrastructures pour la plupart érigées du temps de l’URSS. Des logements typiques se succédaient qui furent construits pour accueillir les mineurs et leurs familles, l’aspect du lieu était très modeste, l’entrée du village étant dominée par la Mine N° 22, aujourd’hui plus en activité. Sur la grande place, se trouvait une épicerie, une ancienne maison de la Culture qui fut bombardée, et un peu plus loin une école. Une femme d’une cinquantaine d’années revenant de faire des courses accepta de nous parler et resta près de 40 minutes pour nous raconter son vécu, sa vie et les terribles événements. Elle était née dans ce village, et en rigolant affirmait qu’elle n’était jamais partie très loin. Elle occupa un emploi de fonctionnaire à la poste, tandis que son mari travaillait à la mine. Elle déclara : « Nous n’avons pas prêté attention aux événements politiques, nous étions au travail, il fallait faire bouillir la marmite, élever nos enfants. Le Maïdan à Kiev nous a paru lointain, une sorte de farce dans la capitale, des agitations et troubles qui ne nous intéressaient pas. Mais très vite nous avons compris le danger, et nous avons été contents pour la Crimée. Nous espérions la même chose pour nous, nous sommes Russes, c’est notre culture, notre langue, même si je comprends l’ukrainien, mais quelle différence pouvait-il y avoir entre nous, nous sommes des frères. Nous avions voté pour Ianoukovitch, et beaucoup de gens regrettent cette époque, et même en Ukraine centrale et dans l’Ouest des gens avaient voté pour lui. Alors, j’ai voté pour le référendum du 11 mai 2014, presque tout le village était là, même s’il y avait des gens contre, ils étaient peu nombreux. C’était l’enthousiasme général, nous étions sûr que cela empêcherait la guerre. Mais cela n’a pas été le cas, et les Ukrainiens sont entrés dans notre village, sans combat, le 16 août 2014, et en partirent le 20 septembre. Pendant toute cette période nous avons vécu l’enfer [son émotion à ce moment était forte et des larmes coulèrent de ses yeux] ».
La confirmation du témoignage d’Olga par celui de Ludmilla. Très vite nous abordons avec Ludmilla la fameuse période de l’occupation ukrainienne de Kommunar et des faits atroces. Pour ne pas l’influencer, je ne citais pas de faits précis, attendant qu’elle évoque d’elle-même des histoires concrètes, et bientôt le témoignage d’Olga se trouva confirmé : « Ils sont arrivés nombreux, ils ont occupé l’école et la maison de la culture, il y avait des véhicules militaires partout. Ils étaient plusieurs centaines, il y avait des soldats de Poltava [confirmation de la présence du bataillon Poltavshina], des blindés, le bataillon Aïdar, des soldats de l’armée régulière [la présence de la 25e aéroportée fut confirmée par une autre habitante du village, en juin 2015]. On ne pouvait plus sortir du village, il y avait des block-posts de contrôle et ils se sont mis à piller les habitations, particulièrement les maisons. Ils ont chargé à mort des camions Kamaz, avec des machines à laver, des gazinières, tout ce qui pouvait les intéresser. Tout ce temps, il y avait des combats et des bombardements, nous vivions dans la cave de notre immeuble. Ceux de Poltava n’étaient pas forcément méchants, certains demandaient si nous avions besoin de quelque chose, donnaient du pain, de la nourriture. Beaucoup parlaient russe, mais beaucoup étaient de l’Ouest de l’Ukraine et s’exprimaient en ukrainien. Je ne sais pas s’il y avait des gens du SBU [une autre femme interrogée affirma qu’ils étaient présents], mais ils ont arrêté des gens. Sur la place publique, ils en ont torturé plusieurs, ils ont coupé les oreilles du jeune Nikita, ils les ont battu à mort. Dans la mine N° 22, ils ont jeté des gens après les avoir tué ou fusillé [confirmation du massacre de masse décrit par Olga]. Une jeune femme enceinte voulait partir, son compagnon avait convaincu les soldats ukrainiens de la prendre avec eux, pour la mettre à l’abri. Plus personne ne l’a jamais revue vivante [confirmation de l’histoire de la femme enceinte martyrisée décrite par Olga, une autre témoin a confirmé en 2022, la femme enceinte de 8 mois fut retrouvée la tête tranchée dans la mine N° 22]. Après leur départ, les nôtres ont trouvé des cadavres dans la mine, il y a eut des journalistes, des membres de l’OSCE, des enquêteurs. Mais tout a été fermé parce que les Ukrainiens avaient miné. Je ne sais pas combien de cadavres ils ont découvert, mais pas mal de gens du village ont disparu ».
Neuf ans d’enquête et des découvertes de plus en plus atroces. Après ce long témoignage édifiant, nous nous rendîmes alors dans l’épicerie du village, qui nous indiqua le lieu de résidence de Galina. Cette femme accepta ensuite de nous parler, pendant une bonne heure, et était la mère du jeune Nikita, l’un des hommes assassinés publiquement par les Ukrainiens, et sauvagement torturé pendant des heures, attaché entre deux arbres, et qui fut massacré, en compagnie de plusieurs malheureux. Il eut les oreilles coupés, et fut achevé et jeté dans la mine N° 22. Cette histoire, et ce récit feront l’objet d’un article à part, pour honorer la mémoire de Nikita Kolomitsev. Il n’avait que 21 ans lorsqu’il fut ignoblement assassiné. Les médias russes s’emparèrent d’ailleurs à l’époque de son histoire (26-28 septembre 2014), et sa mère cita un autre fait tout à fait horrible : un autre compagnon d’infortune de Nikita fut en effet attaché derrière une voiture… Il fut traîné jusqu’à que mort s’ensuive dans les rues du village, avec les cris féroces et hilares des bourreaux. C’est sa mère Galina qui cita la présence également du SBU. Le nombre de personnes arrêtées et assassinées n’est pas connu, les faits se déroulèrent dans une courte période d’un mois, et les arrestations furent déclenchées par les dénonciations de gens du village, des traîtres. Sur leur indication, comme en 1941-1942, avec les supplétifs nationalistes ukrainiens, des listes de gens furent établies. Le jeune Nikita fut arrêté et emmené environ 2 semaines après l’arrivée des Ukrainiens. C’est la preuve de la « patte du SBU », et de leur travail dans les sillons des bataillons de représailles. Après avoir trouvé « les bavards », la mission du SBU était de nettoyer les localités occupées. Les cibles privilégiées étaient les notables ayant soutenu la formation de la RPD, les organisateurs du référendum du 11 mai, les miliciens ou partisans républicains, et leurs familles. Dans un contexte de guerre civile, loin des autorités, la soldatesque se livra en parallèle à des atrocités, motivées par des officiers bandéristes, et même encouragées, pour tétaniser les populations par la terreur. Cette méthode fut la marque de fabrique de l’Ukraine du Maïdan, l’exemple le plus connu, et quasi premier du genre, fut celui du 2 mai 2014, à Odessa…
L’histoire et l’enquête se poursuivent et un prochain voyage à Kommunar et dans la région sera nécessaire, afin de découvrir d’autres témoins des horreurs commises par l’Ukraine, dès le début de la guerre… et qu’elle continue à perpétuer.
*Azov est une organisation interdite en Fédération de Russie, pour l’extrémisme, l’apologie du terrorisme et l’incitation à la haine raciale.
Bonjour Laurent
Encore un excellent témoignage de la triste vérité qui se doit d’ être diffusée .