La photo n'est pas celle de Vladimir, mais celle d'un autre malheureux arrêté lui par le bataillon Kiev-1, en 2014, et dont on devine le sort funeste.

Vladimir Nazdritchkine, battu, torturé à mort et étranglé par la soldatesque ukrainienne

3 juillet 2025 13:51

L’histoire est une des plus terribles sur laquelle j’ai eu à enquêter, celle de Vladimir Nazdritchkine, un simple habitant du Donbass, massacré par des hommes du bataillon Kiev-2, en novembre 2014. L’affaire pour moi commença en juillet 2022, lorsque je décidais d’écrire l’histoire du bataille de police supplétive et de représailles, Kiev-2. En creusant profondément dans les méandres des sources ouvertes sur Internet, je découvrais l’histoire tragique de Vladimir. L’article publié, d’abord dans les lignes du Donbass Insider, puis d’International Reporter, tout aurait pu en rester là. Le destin en décida autrement, et après un cheminement totalement improbable, je rencontrais enfin, après trois ans, Alexandra, la veuve de Vladimir. Son témoignage est l’un des plus durs que j’ai eu à entendre, et son épouse, remuée par les souvenirs eu un courage énorme pour revenir sur les faits. Voici l’histoire d’un terrible crime de guerre, un parmi des milliers commis par l’Ukraine contre le peuple du Donbass. Un parmi des milliers…

Les voix du Seigneur sont impénétrables. L’article publié en juillet 2022, entrait dans mon long travail d’enquête sur l’armée ukrainienne. Dans l’automne suivant, je me décidais à regarder une vidéo de Christelle, filmée début mars 2022, au moment de la libération de la ville de Volnovakha. Quelques femmes témoignaient devant la caméra, et je reconnus soudain, cette femme, Alexandra, la veuve de Vladimir Nazdritchkine, qui avait subi le martyre. Je ne l’avais jamais rencontré, mais lors de mon enquête sur ce crime, j’avais vu des photos d’elle, son apparition me frappa comme la foudre. Ainsi commença ma longue quête pour retrouver Alexandra. La vidéo démontrait par ailleurs qu’elle était restée dans son village de Donskoe, du côté russe. Elle occupa longuement mes pensées, pendant 3 ans, et faisait partie des objectifs prioritaires de ma mission actuelle dans le Donbass. En mai dernier, alors que je me trouvais sur l’ancienne ligne de front de Donetsk, dans les ruines, je fus arrêté. Ma présence devant un lieu secret et militaire, me conduisit dans les profondeurs d’un QG, pendant plusieurs heures. De fil en aiguille, d’interrogatoire en interrogatoire, je fus évidemment libéré, une aventure qui m’arriva d’ailleurs depuis 2015, à plusieurs reprises. Cet événement eut des conséquences heureuses, à savoir le désir des autorités militaires de m’aider à faire mon travail. Ainsi, en juin dernier, je pus me rendre sur le front Sud de Donetsk, en compagnie d’une fonctionnaire de la région de Volnovakha. Je ne manquais pas de raconter mon histoire de la recherche d’Alexandra, vivant à Donskoe, tout proche de cette ville. Moins d’un mois plus tard, je rencontrais cette femme courageuse, intimidée et effrayée, n’ayant pas dormi de la nuit, les souvenirs revenaient au galop. Ils étaient traumatisants et terrifiants. Ensemble, avec Christelle, nous écoutâmes alors le récit horrifique de cette veuve.

Une vie tranquille et paisible, dans le Donbass industrieux et travailleur. Alexandra est originaire d’une famille russe, de la région de Zaporojie. Elle rencontra son mari Vladimir, lui-même étant du Donbass, de la région de Volnovakha. Ils formèrent un couple heureux, qui fut bientôt béni par l’arrivée de deux enfants, d’abord une fille, puis un fils. Ces gens modestes élevèrent avec amour leurs enfants, travaillaient dans un combinat et usine de Donskoe, où ils vécurent heureux. Plus tard à l’ouverture d’une crèche dans le village, Alexandra devînt assistante-maternelle, et à la fermeture de l’usine, Vladimir trouva du travail à Magadan, dans le Grand Nord russe (2010). Leur fils commença des études supérieures à Kharkov, Vladimir travaillait par périodes de 8 mois, suivies de 4 mois de repos. La vie se poursuivit ainsi jusqu’aux événements du Maïdan. Alexandra raconte : « au moment du Maïdan, nous avons vite compris que quelque chose de mauvais se déroulait. Cependant, nous ne faisions pas de politique, mais nous avons commencé à nous inquiéter au vu de la tournure. Mon mari et moi nous sommes Russes, c’est la langue que nous avons toujours pratiquée, même si nous pouvions comprendre l’ukrainien, et que nous parlions le dialecte local, le surgik. Toutefois, nous n’avons pas vu arriver la tempête, qui aurait pu le deviner ? En mars, j’ai accompagné en train mon mari jusqu’à Moscou, pour sa prochaine mission de travail. Je restais seule à Donskoe, alors que les événements s’emballaient. Toute la région était en ébullition, et nous étions enthousiastes et confiants dans l’avenir. Lorsque le référendum du 11 mai 2014 est arrivé, je faisais partie de la commission qui l’organisa à Donskoe. Tout le monde était heureux, il y avait de la musique, des drapeaux et tout le village ou presque vînt voter ce jour-là. Mais bien vite, ce fut dangereux, et je me mis un moment à l’abri en Russie, l’arrivée des Ukrainiens, déclencha les premières arrestations. Par un hasard que je n’explique pas, je ne fus jamais inquiétée, sans doute le SBU ne trouva pas l’information que j’avais été dans la commission du référendum. Je rentrais finalement à la maison, mais tout avait changé, la guerre était à nos portes, une garnison ukrainienne était à Volnovakha, beaucoup étaient passés côté républicain, pour combattre, ou se mettre en sûreté. Nous avions d’ailleurs envoyé notre fils, de Kharkov en Russie, pour qu’il ne soit pas mobilisé dans les rangs de l’Ukraine, et notre fille quitta aussi la région ».

Dans l’œil du cyclone. Alexandra poursuit son récit et raconte comment elle rencontra de nouveau son mari à Moscou. Il avait voyagé en avion jusqu’à la capitale, et le couple rentra ensuite en train, jusqu’à Donskoe. Elle raconte : « Une fois rentré, pour dire la vérité, mon mari ne sortait pas, il était comme moi pour la RPD, pour le Donbass, et il pensait même à partir à Donetsk pour rejoindre les nôtres et combattre. Il décida d’aller faire quelques courses, puis de rendre visite à ses parents, qui habitaient non loin, dans un autre village. Je me suis inquiétée tout de suite, lorsque j’ai vu qu’il ne rentrait pas. J’ai appelé des dizaines de fois, mais il ne répondait pas. A un moment, j’ai reçu un appel de lui, mais au bout du fil, mon mari n’était pas dans son état normal. J’ai pensé qu’il avait bu, bien que ce ne fut jamais le cas. Il ne pouvait pas s’exprimer normalement, et puis plus rien, le contact fut perdu. Je me suis dis qu’il avait un sacré coup dans le nez, et qu’il avait dû tomber sur de vieilles connaissances, que cela irait mieux le lendemain. C’est là que le lendemain, j’ai vu à la TV les flashs d’infos, sur un terroriste séparatiste qui s’était jeté sur un block-post à Bougas, dans l’intention de l’attaquer. Les caméras montraient… notre chien qui était parti avec lui la veille. Alors, j’ai foncé à ce poste de contrôle. Il y avait des soldats, on me raconta cette histoire d’attentat. C’est deux jours après le drame, que je fus appelée par les autorités, on avait retrouvé mon mari gisant sans vie dans un champ. C’est ainsi que commença le cauchemar. Notre chien revînt plus tard, il était grièvement blessé à la tête, et au ventre. Il avait cherché sans doute à défendre son maître et avait été maltraité par les assassins de mon mari. Je savais bien sûr, qu’il n’avait pas commis d’attentat terroriste. Officiellement, j’étais toutefois la veuve « d’un terroriste », et après l’enterrement de mon mari, je décidais de partir un moment en Russie, les menaces et le danger étaient réels. Je pris notre chien blessé, et je me réfugiais de l’autre côté de la frontière ».

Battu à mort et assassiné par des officiers du bataillon Kiev-2. Le bataillon Kiev-2 resta longuement en garnison, dans la région de Volnovakha, une des positions clefs au Sud de Donetsk. Pendant 8 années, l’occupation ukrainienne fut subie par la population franchement hostile à Kiev. Après la libération de la ville, les habitants décrivirent des exactions, des soldats soûls, des répressions et de la corruption. Lorsque Vladimir Nazdritchkine (1964-2014), soudeur de profession revînt à la maison, il tomba dans cette ambiance lourde (4 novembre 2014). Quelques jours après son retour, c’est là qu’il tomba dans ce piège mortel, à un barrage de police du bataillon Kiev-2, à Bougas, au nord de la ville de Volnovakha. Il était accompagné de son chien, ne possédait pas de passeport russe, mais avait une forte somme d’argent en roubles, suite à sa longue période de travail dans la région de Magadan. C’est sans doute ce qui déclencha la fureur de la soldatesque ukrainienne, « la preuve » qu’il était un « Moskal ». L’argent d’ailleurs… fut volé et ne fut jamais retrouvé. Son épouse raconte : « la dernière fois que je l’ai vu vivant, c’était le 20 novembre 2014, après le déjeuner, il est sorti de chez nous, vers 13 h. Il devait aller à la station service, non loin d’un barrage routier, puis de là aller voir ses vieux parents dans le village de Dmitrovka. Sur lui, il avait 40 000 roubles et une autre somme en UAH. A partir de 16 h, ne le voyant pas revenir, j’ai essayé périodiquement de le joindre au téléphone, mais il n’a pas répondu. Une heure plus tard, il n’était toujours pas rentré. J’ai pensé que peut-être il avait pu tomber sur des amis. Mais le lendemain, il n’était toujours pas rentré (21 novembre). Et puis dans les nouvelles du soir de nombreuses chaînes de télévision, y compris à l’échelle nationale ont montré notre chien, et parlé d’un terroriste qui a tenté d’attaquer un poste de contrôle avec des explosifs dans le coffre, mais l’attaque ayant échoué, le terroriste s’était échappé et la voiture pleine d’explosifs avait explosé. Le lendemain, avec ma belle-sœur, nous nous sommes rendus au poste de contrôle (22 novembre), au kilomètre 177 de la route de Slaviansk. Les soldats ont raconté la même histoire, puis je fus mise en relation avec un officier qui m’a demandé au téléphone de venir près du village de Dmitrovka, à 7 km de là. Il avait été retrouvé dans un fossé, au bord d’une route, face au sol, les mains levées vers le haut. Avant sa mort, il avait été brutalement battu ».

La longue enquête de journalistes et défenseurs des droits de l’homme. Une fois son mari retrouvé, deux versions s’opposèrent : celle du commandant du bataillon Kiev-2 affirmant la véracité de la thèse de l’attentat terroriste et que son mari, par un hasard non explicable fut tué ce soir là dans les parages, et celle de l’épouse de Vladimir affirmant qu’il fut simplement assassiné par les soldats de Kiev-2. L’enquête judiciaire ne mena absolument à rien, et sombra dans les limbes de l’Ukraine bandériste. Cependant un journaliste ukrainien s’intéressa à cette affaire, avec l’aide de Maria Tomak, la coordinatrice de l’Initiative médiatique pour les Droits de l’Homme, ils tentèrent d’aider sa veuve (2018). L’ancien commandant du bataillon, Wojciekowski accepta de revenir sur ce meurtre, en éludant mais en fournissant le nom du commandant adjoint de l’unité, Viacheslav Kriazh, dit Makhno. Contacté, il refusa de s’exprimer sur ce meurtre. Un autre soldat du bataillon revînt aussi régulièrement dans l’enquête : Yaroslav Kovalenko, dit Outios. Tous les combattants retrouvés par les deux investigateurs exprimèrent leur méfiance vis à vis des deux officiers supérieurs du bataillon, parlant de corruption, de contrebande, de trafics de céréales, de charbon, de ferraille, de biens divers, de cigarettes, d’alcool et de produits de contrefaçon. Quatre hommes avalisèrent la version selon laquelle l’attentat avait été une mise en scène afin de camoufler le meurtre de Vladimir. Sur son corps d’importantes traces de maltraitances furent relevées, ainsi que celles de menottes à ses poignées. Il resta en effet enchaîné à un radiateur dans un poste de police non loin du point de contrôle de Bougas, où il fut finalement assassiné.

Le témoignage des soldats du bataillon Kiev-2. Le sergent Tsvetsko parla lui-aussi de cette falsification des événements, il assista à son arrestation et à son envoi dans ce poste de police dont il ne ressortit jamais vivant. Un autre combattant qui voulut rester anonyme raconta ce qu’il avait vu au journaliste : Viacheslav Kryazh procéda à son arrestation au poste de contrôle, il fut battu et menotté. La voiture fut par la suite détruite avec des explosifs pour simuler un attentat. Il fut interrogé, torturé et battu à mort par Wojciekowski et Kryazh dans le poste de contrôle. Il fut ensuite attaché dans la cour à un poteau avec des menottes et demanda à appeler sa famille, ce qui lui fut refusé :« Il y avait des voitures suspectes, nous avions trouvé des armes, mais dans ce cas, il n’y avait rien de suspect. Je savais qu’il s’agissait d’un citoyen ordinaire, je me souviens qu’il nous a dit qu’il avait des problèmes de santé, il était malade sur la route, alors il s’était arrêté, peut-être même s’était-il évanoui, ou simplement endormi, il a beaucoup demandé à ce que nous le laissions contacter sa famille ». Un autre combattant donna également sa version, racontant avoir vu l’homme déjà salement amoché qui se trouvait enchaîné dans le couloir du PC de police, de telle sorte que pour passer de pièces en pièce, sa présence était immanquable : « Je ne peux pas affirmer qu’il était encore en vie à ce moment, les yeux étaient fermés, la bouche ouverte, la poitrine semblait se soulever, mais il ne bougeait pas, ne parlait pas ». L’autopsie du corps de Vladimir (2015) avait conclu à sa mort par un traumatisme crânien, une hémorragie interne et un œdème cérébral. Son épouse n’ayant pas lâché l’affaire se lança dans une longue procédure judiciaire, le corps de son mari fut finalement exhumé (décembre 2016), pour une nouvelle autopsie, qui malgré les difficultés conclut en faveur d’une mort par asphyxie. Deux ans plus tard l’affaire traînait toujours en longueur et fut finalement oubliée et enterrée, malgré les efforts de ces courageux journalistes.

Plus de deux ans d’appels téléphoniques en pleine nuit, et des menaces très claires. Après le début de la médiatisation de l’affaire en Ukraine, Alexandra va subir pendant plus de deux ans, des menaces et des appels téléphoniques inquiétants, toutes les nuits, vers les 2 heures du matin. Elle raconte : « Les menaces ont commencé par des appels téléphoniques, toutes les nuits. Mon fils aussi a été appelé. Il n’y avait souvent au bout du fil que le silence, ou un souffle. Parfois la voix d’un homme menaçant. J’ai vécu dans la terreur et la peur, à la merci de ces gens. Je ne pouvais pas me défendre, et la procédure judiciaire ne mena nulle part, car l’affaire fut enterrée par le Ministre de l’Intérieur, Arsen Avakov, dont le bataillon Kiev-2 dépendait. Un jour on m’a averti que le dit Makhno était à Volnovakha, qu’il me cherchait. Sa voiture fut vue à Volnovakha, et je la vis ensuite à Donskoe. Je savais ce que cela voulait dire, alors j’ai pris la fuite de nouveau, pour me mettre à l’abri, et je suis restée plusieurs mois en Russie. Mon fils qui était venu dans la région, repartit aussi dans l’urgence en Russie, et une fois qu’il eut passé la frontière, il reçut immédiatement un coup de fil, avec des menaces claires. Madame Tomak, à Kiev, les gens qui tentèrent de nous aider, ne purent pousser l’affaire plus loin, et enfin l’opération spéciale enterra la procédure pour de bon. Notre chien, qui avait survécu à ses blessures est mort pendant la bataille de Volnovakha, terrorisé par les bombardements. Un jour, à Donskoe, alors qu’il était dehors, je l’ai vu s’enfuir à toutes jambes… il avait vu des soldats ukrainiens au coin de la rue. Il se rappelait parfaitement comment ils avaient manqué de le tuer, et la fin de son maître… ».

Aujourd’hui Alexandra vit toujours dans la peur. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas filmé son témoignage. Nous avons simplement enregistré son témoignage, que nous avons archivé. Alexandra vit dans la frayeur, qu’un jour, les assassins de l’Ukraine puisse la retrouver et lui faire subir, à elle ou sa famille, le sort terrible de son mari. Son témoignage fut difficile, elle portait des lunettes de soleil pour cacher ses yeux rougis par les larmes et les pleurs, qui avaient précédé notre rencontre à Donetsk. Tremblante, des trémolos dans la voix, il lui fallut une énergie incroyable pour faire de nouveau le terrible récit, et se replonger dans le passé. Fait terrible, elle indiqua également que son mari ne fut pas la seule victime à cette époque : 2 autres civils et 1 soldat du bataillon furent aussi assassinés dans des circonstances dramatiques. Elle concluait à l’évocation du fait que les assassins étaient peut-être déjà morts sur le front : « ce n’est pas suffisant, ils doivent passer en justice, ils doivent être punis. ».

Les assassins de Vladimir, des hommes qu’il faudra coûte que coûte traîner en justice. Voici les trois biographies des fameux criminels de guerre. La prochaine étape sera, comme tous les autres criminels ukrainiens, de les pourchasser, particulièrement après la guerre. Jusqu’à que justice soit rendue… Comme le disait Simon Wiesenthal, justice n’est pas vengeance.

Yaroslav Kovalenko, dit Outios (?-), originaire de Konotop, il s’enrôla dans le bataillon Kiev-2, et fut l’un des hommes qui assassinèrent au poste de contrôle de Bougas, près de Volnovakha, un civil qui fut pris avec des roubles dans sa poche. Selon des témoins du bataillon, il fut l’un des hommes qui procédèrent à l’arrestation de ce civil. Ce dernier fut battu, menotté à un arbre, puis envoyé au PC de police du bataillon, où il fut attaché à un radiateur. Salement amoché et déjà affaibli, il fut de nouveau battu sauvagement, et achevé à coups de poing, par le commandant du bataillon Wojciekowski, durant la nuit du 20 au 21 novembre 2014. Ensemble, ils camouflèrent le crime en « attentat terroriste d’un séparatiste ». L’automobile fut bourrée d’explosifs et détruite pour faire croire à l’attentat à la voiture piégée. La version était ridicule, car « le terroriste » ne fut retrouvé que deux jours plus tard dans un fossé, près d’un champ. Si l’homme avait explosé dans sa voiture, le corps serait resté dans l’habitacle… Son corps martyrisé et les autopsies prouvèrent l’absurdité de cette version des criminels. Il apparut dans une vidéo et une publication au sujet de la collecte d’aides et de fonds pour « pour de l’aide humanitaire » au bataillon Kiev-2, où il tirait avec une mitrailleuse de gros calibre pour faire une démonstration (son surnom, Outios, est une mitrailleuse) (6 juin 2015). Il passa ensuite dans la 95e brigade aéromobile et y servait encore en 2018. La banque de données wartears comporte plusieurs personnages portant son nom (2025), mais qui ne sont pas lui, potentiellement, il serait toujours en vie.

Viacheslav Kriazh, alias Makhno (?-), peut-être originaire de Kiev, commandant de peloton dans le bataillon Kiev-2, malfrat et trafiquant lié au commandant Wojciekowski, il participa au meurtre d’un civil au poste de contrôle de Bougas, près de Volnovakha, (nuit du 20 au 21 novembre 2014), et à quantité d’exactions, de crimes et de maltraitance. Un soldat du bataillon interrogé en 2018, déclara qu’il était d’une grande violence et pouvait s’en prendre à n’importe qui sans raison. C’est ainsi qu’il fit descendre d’un bus un homme, qu’il accusa d’être un « séparatiste », par le simple fait qu’il possédait une carte de membre d’un association de Cosaques… une preuve selon lui. L’homme fut maltraité et réduit en esclavage pendant un certain temps dans le sein du bataillon. Kriazh fut également accusé d’être le bras droit du commandant Wojciekowki, dans l’organisation d’un trafic de contrebande, organisé entre la République de Donetsk et l’Ukraine. Par les corridors ouverts sur le front, ils firent passer des camions, voitures et même des convois, en partance ensuite pour Dniepropetrovsk (l’un d’eux signalé entre le 25 et 27 février 2015). Mais aussi des armes de contrebande, notamment d’après le témoignage ultérieur d’un soldat. Il s’agissait de mines, de munitions, de systèmes antichars RPG, de grenades et de différentes armes de fabrication russe. Une des voitures transportant des armes tomba en panne dans la région d’Artiomovsk, ce fut lui et l’un des soldats du bataillon qui réglèrent l’affaire et partirent au volant d’un camion pour assurer le transfert (mars 2015). Ce fut lui encore qui aida à faire passer une voiture bourrée d’armes qui transita par la base du bataillon Kiev-2 (3 juin 2015). Il quitta le bataillon sans doute en même temps que son chef, vers 2016, puis fut signalé résident en Allemagne et travaillant dans une usine automobile (2018). Interrogé sur le meurtre de Bougas par un journaliste, il refusa de répondre.

BogdanYashounine, alias Wojciekowski (1977-), il termina l’école militaire d’aviation du temps de l’URSS, puis fit une carrière de militaire de carrière, dans l’Armée soviétique, puis dans l’Armée ukrainienne. Il devînt un officier en charge de la protection rapprochée des personnages de l’État, d’abord du Premier Ministre, puis fut versé dans le Ministère de l’Intérieur. Il travailla dans les services d’émigration de l’Ukraine. Il fut dans l’ombre un partisan du Maïdan, avec qui il avoua avoir des contacts avec diveres figures du mouvement. Après le retour de la Crimée au giron russe, il se décida à agir personnellement et participa à la formation d’un nouveau bataillon de représailles, constitué de néonazis du Parti National-Socialiste d’Ukraine, Svoboda, d’anciens militaires et policiers. Avec ses contacts, il put affilier l’unité au Ministère de l’Intérieur. Il fut d’ailleurs nommé à la tête du bataillon de police supplétive Kiev-2 (printemps 2014), qu’il conduisit dans le Donbass. A ce titre en temps qu’officier supérieur, c’est lui qui est en responsabilité de tous les crimes commis sous ces ordres. Sur une liste de responsables, il serait certainement dans le top 1000, des hommes à arrêter et à traduire devant un tribunal pour crimes contre l’Humanité et crimes de guerre. Lui même fut accusé de l’assassinat d’un certain Vladimir Nazdritchkine, un civil sauvagement battu à mort, sans aucune raison valable. L’homme portait des roubles sur lui, ce fut suffisant pour signer sa perte. Wojciekowski l’acheva à coups de poing, à Bougas dans le PC d’un poste de police près de Volnovakha (20 novembre 2014). Il ne fut jamais inquiété pour ce crime et éluda toujours la question. Il fut mêlé durant tout son commandement, à un important trafic de contrebandes, y compris d’armes, soutenu et protégé par de hauts-fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur, un député et un homme d’affaires. Mis en difficulté lors d’un interrogatoire par un procureur de la région de Kiev (9 juin 2015), à propos du trafic d’armes russes, il dénonça trois hommes du bataillon, Trochina, Lozenka (transfuge de Crimée) et Malinovitch. Cet événement déclencha une cabale parmi les soldats, certains préférèrent partir de l’unité sans faire de remous, d’autres donnèrent leur démission. Mais une vingtaine d’entre eux décidèrent d’écrire des rapports pour le Ministère de l’Intérieur (10 juin). Il tenta d’empêcher la remontée de ces rapports, convoqua les hommes et les menaça personnellement. Les démissions de ces hommes furent refusées, ils furent également maintenus dans la zone ATO sans recevoir de permissions. Tchalavan, grosse huile du Ministère de l’Intérieur entra alors en lice pour interdire aux hommes de communiquer avec les médias, d’écrire des rapports ou de se plaindre sous peine de sanctions graves. Protégé, il échappa à toutes les tentatives de le déstabiliser, poursuivant tranquillement ses activités criminelles à la tête du bataillon. Il commanda l’unité jusqu’à qu’elle soit versée sous forme de compagnie dans un autre régiment de police (2015), puis resta dans ce dernier encore un moment (jusqu’en 2017). Il fut nommé avec le grade de lieutenant-colonel dans la police de l’oblast de Soumy, dans la ville de Konotop, où il se trouvait encore en 2021. Il a donné une très longue interview pour un youtubeur ukrainien, donnée en langue russe qui est sa langue maternelle. Son récit de sa guerre du Donbass est assez… édulcoré. Malgré la question posée sur l’accueil des gens du Donbass, il botta en touche, évitant également d’aborder la question des crimes de guerre, et même des péripéties militaires du bataillon. Un grand silence, quelques phrases bateaux en deux ou trois minutes pour une heure d’interview. Le déclenchement de l’opération spéciale russe a dû le faire transpirer fort, car Soumy, non loin de Konotop fut attaquée par les forces russes, dans l’une des batailles du début de l’opération spéciale (24 février-4 avril 2022).

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Latest from Enquêtes et fact-checking

Don't Miss