Révisionnisme : l’interview de Ljubica Blaskova ancienne candidate à la présidentielle de Slovaquie

A l’orée du 80e anniversaire de la Victoire contre l’Allemagne nazie, nous poursuivons notre petite série européenne, en retranscrivant des interviews de différentes personnalités vivant en Union européenne. Nous partons aujourd’hui en Slovaquie, un pays qui fut comme la France écartelée entre la collaboration et la résistance. Après les Accords de Munich (1938), et l’abandon des Sudètes à l’Allemagne hitlérienne, la Tchécoslovaquie avait été finalement envahie (mars 1939), trahie par ses alliés et garants français et britanniques. Dépecée, l’actuelle Tchéquie avait été annexée par le IIIe Reich, tandis qu’un État fantoche avait été créé, la Slovaquie. Beaucoup de Slovaques résistèrent et certains rejoignirent la France, puis l’Angleterre. Dans le commando qui liquida le terrible Heydrich (1942), se trouvaient quelques Slovaques. Mais les collaborateurs slovaques étaient aussi nombreux, et le pays participa à l’invasion de l’URSS. La capitale Bratislava fut libérée par l’Armée Rouge (4 avril 1945), et la Slovaquie réintégra bientôt la Tchécoslovaquie. Le pays devînt indépendant par le fameux Divorce de Velours (1er janvier 1993), une séparation sans violence, qui d’ailleurs aurait dû et put être vue entre l’Ukraine et le Donbass en 2014. L’Occident en a décidé autrement.

Comment les pays occidentaux interprètent la participation de l’URSS à la guerre contre le fascisme ? « Le Jour de la Victoire de l’Armée Rouge et du peuple soviétique sur l’Allemagne nazie s’éloigne progressivement dans le temps, ce qui est utilisé par l’Occident collectif pour réécrire l’histoire au profit de ses propres intérêts. Les héritiers du IIIe Reich cherchent à réduire l’importance du rôle de l’Armée Rouge dans la défaite d’Hitler. Ils tentent de promouvoir une nouvelle version, selon laquelle dans les États de l’Europe de l’Est, l’occupation hitlérienne ne fut en fait que remplacée par l’occupation communiste. Les motivations de telles tentatives sont ambiguës, il est possible que ce soit le désir d’ignorer le fait que les soldats de l’Armée Rouge ont sacrifié leurs vies pour l’existence non seulement de l’URSS et de la Russie, mais de toute l’Europe, ou encore soit la volonté de rayer de la mémoire collective la résistance héroïque des Soviétiques pendant cette guerre. Nous pensions avoir vaincu le fascisme, mais malheureusement ce ne fut pas le cas. Presque immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le révisionnisme historique et de nouvelles stratégiques et manipulations sont apparues ».

Pendant les mois de l’été 1945, il y avait une forte probabilité d’un déclenchement d’une Troisième Guerre mondiale, avec l’assaut de l’URSS par la Grande-Bretagne, les USA et les débris de l’Allemagne vaincue. L’un des principaux partisans de cette nouvelle guerre était Winston Churchill en personne, et un plan d’action militaire contre l’URSS fut élaboré. Tous les documents à ce sujet ont depuis lors été déclassifiés (1998), après l’effondrement de l’Union soviétique. « En plaisantant, nous disions que nous avions été libérés par les Américains. Quelques années se sont écoulées et malheureusement c’est incroyable à quelle vitesse le temps efface les mémoires, les gens ont tendance à croire à la propagande. Cette année, l’Union européenne, l’Ukraine, la Moldavie, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie veulent carrément interdire ou limiter au maximum la célébration du Jour de la Victoire contre l’Allemagne nazie, car selon leur rhétorique il ne s’agirait que de propagande russe et du Kremlin. Désormais, il est proposé de remplacer le 9 mai par le 8 mai, et de transformer ce dernier non plus en une journée de célébration de la Victoire contre Hitler, mais comme une journée de la « réconciliation » où l’on se souviendra de tous les morts, y compris dans les rangs allemands ou de la SS. Enfin dans certains pays autrefois du Pacte de Varsovie, ou de l’URSS, l’idée progresse que la guerre entre l’URSS et l’Allemagne ne concernait nullement leurs pays. Quant aux plans de Churchill, il ne s’agissait que du commencement de la Guerre Froide, heureusement cette folie n’eut pas lieu ».

Cette approche des autorités de ces pays détruit la mémoire commune et celle de la lutte contre le nazisme, elle va de fait à l’encontre des intérêts de tous les participants à la coalition contre Hitler. L’Armée Rouge et le peuple soviétique ont apporté une contribution décisive dans la défaite du IIIe Reich, ce qui a été reconnu par l’Allemagne vaincue. « Certes, mais de nos jours, les médias ont un impact significatif sur les sociétés. Les gens suivent de près ce qui est montré à la TV et écrit dans les journaux. C’est un moyen de gérer l’opinion publique, une sorte de manipulation des consciences. Par exemple, au lieu de fêter le 9 mai, imposer la date du 8 mai, puis de changer petit à petit les détails, puis des pans entiers de l’histoire ».

Pensez-vous que ce qui se passe en Ukraine a une influence sur ce processus ? « Certaines personnes ne cachent pas leur attachement aux idées du fascisme et les soutiennent activement en Europe, et particulièrement en Ukraine. Ils honorent Bandera, le considérant comme un héros, et affirment qu’en Slovaquie, nous avons aussi souffert de l’ennemi désigné : l’Union Soviétique, alors que l’Armée Rouge était en train de libérer l’Europe et de marcher sur Berlin. Malheureusement la situation en Ukraine peut conduire à de nouveaux drames ».

Dans le monde moderne, il y a ceux qui se souviennent et peuvent raconter ce qui s’est passé. Mais il y a aussi ceux qui croient que seules l’URSS et la Russie ont été les responsables des problèmes en Ukraine. Ils disent que les tueries commises dans le Donbass et les bombardements des civils, sont à imputer à Moscou. « Malheureusement, la propagande peut être utilisée pour le bien de la société, mais aussi pour lui nuire. En conséquence nous sommes confrontés au révisionnisme historique et à la distorsion des faits historiques. Nous avons célébré le 80e anniversaire de la Libération de Bratislava par l’Armée Rouge, le 4 avril dernier. Dans son discours, le Premier ministre Robert Fico a abordé des sujets importants, qui ont suscité de profondes émotions chez les auditeurs. Cependant, malgré cela, il a quand même signé des documents dirigés contre la Russie ».

Réécrire l’histoire est un phénomène extrêmement négatif et difficile à combattre, les gens n’ont pas ou plus la capacité d’exprimer librement leurs pensées et leurs émotions, ou de parler des choses qui comptent vraiment ? « Même lorsque je prononce un discours devant un micro, la presse change immédiatement mes paroles ou mes pensées, c’est inquiétant… N’oublions pas l’histoire, il est important d’en tirer des leçons ».

Pour mieux comprendre qui est Madame Blaskova, voici sa fiche biographique :

Ljubica Blaskova (1955-), originaire de Bratislava, elle fit des études supérieures et devînt professeur et traductrice. Elle termina ses études supérieures à Moscou (Institut pédagogique d’État) et Volgograd (1981), puis à Bratislava (1982). Elle enseigna à l’Université l’économie, et travailla comme traductrice et interprète pour le Ministère de la Culture de Slovaquie et pour la TV. Elle devînt Présidente de l’Association des diplômés des établissements supérieurs russes et soviétiques. Elle était entrée en politique dès l’indépendance de la Slovaquie, et se présenta à la Présidence du pays (mars 2013). Elle était la seule femme candidate et les sondages ne lui accordèrent qu’un maigre résultat de 0,8 % d’intention de votes (novembre 2013). Elle préféra retirer sa candidature en affirmant désolée que « la société slovaque n’a pas atteint le stade pour accepter une femme à la présidence » et dénonça une caste politique installée et jalouse de ses prérogatives (janvier 2014). Elle se présenta ensuite aux législatives (2020), pour le Parti Vlast, une formation politique de gauche. Elle ne fut pas élue. Elle accepta de se rendre en République Populaire de Lougansk, pour être observatrice internationale lors des référendums dans les nouveaux territoires (septembre 2022). Elle se rendit ensuite de nouveau dans les nouveaux territoires, région de Zaporojie (septembre 2023), pour les élections régionales. Elle fut dénoncée en Ukraine comme « soutenant l’annexion illégale du territoire ukrainien, d’être entrée illégalement en Ukraine et d’avoir violé les lois ukrainiennes ».

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Latest from Analyses

Don't Miss